Société française des îles malgaches du Canal de Mozambique...


«En mon personnel et au nom des 25 millions de Malagasy, je demande solennellement et officiellement de trouver une solution pour la gestion ou la restitution des îles éparses à Madagascar» : le Président de la République ne pouvait pas dire moins et le flot de bravos consécutif laisse imaginer le torrent d’insultes s’il s’en était abstenu. Sauf que le droit peut être une pure fiction et oeuvre d’abstraction. N’est-ce pas fiction, par exemple, que les Chagos situés à 1000 km des Maldives appartiennent pourtant à Maurice doublement éloignée ? Les Maldives avaient d’ailleurs averti Maurice qu’elles n’allaient pas soutenir sa résolution à l’ONU contre le Royaume-Uni, ne voulant pas abandonner ses intérêts maritimes en otages du principe de décolonisation. Fiction également, la succession, ne serait-ce qu’en 1979 et 1980, de résolutions adoptées par l’OUA et le groupe des non-alignés ou l’assemblée générale de l’ONU, sans que la France, pourtant «mise à l’index», s’en émeuve plus que ça. Fiction nos «droits historiques» sur les îles éparses, où aucun établissement humain malgache n’a été dûment archéologué. Fiction les «droits historiques» de la France sur Madagascar, au 17ème siècle, alors que Pronis ou Flacourt «Directeur général de la Compagnie française d’Orient, et Commandant pour sa Majesté très chrétienne en l’Isle de Madagascar et les lsles adjacentes», n’avaient pris pied que sur un morceau de plage dans l’extrême Sud-Est de la si justement nommée «Grande» île. Qu’est-ce qui n’est pas fiction, alors ? Ne sont pas fictifs les 640.000 km2 de ZEE (zone économique exclusive) et les richesses mirifiques qu’on suppose autour des îles éparses. N’est pas fictif le détachement de parachutistes français d’infanterie de marine. N’est pas fictif l’autre détachement de la Légion étrangère. N’est pas si fictif le risque politique pour Émmanuel Macron : aucun Président de la République avant lui, ni aucun gouvernement français, n’avait osé faire bouger des lignes protégées par l’article 53 de la Constitution française de 1958, «Les traités qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi» surtout que, depuis 1791, «le royaume de France est un et indivisible» ou que «la République française est une et indivisible» (Convention nationale du 25 septembre 1792). Dans un dossier spécial «Regards Croisés sur les Îles Éparses» (revue MCI, avril 2016), Christiane Rafidinarivo et Johary Ravaloson conseillaient de «nommer pour s’approprier» : «Les Vezo qui fréquentent depuis les temps immémoriaux les zones concernées doivent avoir nommé ces îles, le temps nous a manqué pour les approcher. S’efforcer de rechercher les noms malgaches de ces îles est non seulement œuvre d’histoire, il s’agit aussi de dénomination et donc d’identité et de droits individuels, collectifs et publics. L’État malgache peut officialiser les noms de ces îles auprès des Nations Unies comme l’a fait systématiquement l’Indonésie par exemple en 2011 pour 13 466 îles. Cela lui a permis de redéfinir mer intérieure, mer territoriale et zones économiques exclusives». Quel écolier malgache connait les îles éparses ? Figurent-elles dans quelque manuel scolaire de notre éducation nationale ? À l’Académie militaire et dans les ministères de souveraineté, les envisage-t-on comme enjeux d’hydrocarbures, question de principe ou sanctuaires écologiques ? C’est bien ce «Un pas en avant, deux pas en arrière sur les îles éparses» que j’évoquais dans la Chronique du 14 décembre 2017. Déjà, les îles éparses n’ont aucun nom malgache. On les appelle ÎLES GLORIEUSES (superficie de 7km2, ZEE de 48.350 km2 ; située à 220 kms à l’Ouest de Madagascar, à autant de distance de Mayotte ; un détachement de la Légion Étrangère demeure sur place ; une station météo y opère depuis 1955 ; possession française depuis le 23 août 1892) ; JUAN DE NOVA (découverte par un navire portugais en 1501 ; 5km2 de superficie, à 150 kms des côtes malgaches ; ZEE de 61.050 km2 ; un détachement du 2ème Régiment de parachutistes d’infanterie de marine stationne sur place ; une station météo opère depuis 1973 ; dépendance française par l’acte du 31 octobre 1897, en application de la loi du 6 août 1896) ; BASSAS DA INDIA (récifs de 86 km2 mais seulement 200 m2 émérgés à marée haute, 123.700 km2 de ZEE ; aucune présence humaine n’y est possible) ; EUROPA (découverte par le navire anglais «Europa» en 1774 ; située à mi-chemin entre l’Afrique et Madagascar ; dépendance française par l’acte du 31 octobre 1897 en application de la loi du 6 août 1896 ; superficie de 30 km2, ZEE de 127.300 km2 ; un détachement du RPIMA stationne sur place ; une station météo opère depuis 1949 ; une piste d’attérissage aménagée en 1973). Longtemps, nous avons été obnubilés par les fameux accords de coopération (quatre signés le 2 avril 1960 et douze signés le 27 juin 1960), dont la rénégociation, actée le 4 juin 1973 à Paris, avait forgé la gloire d’un certain Didier Ratsiraka, alors Ministre des Affaires Étrangères. Quand, en 1973, Madagascar a enfin évoqué les îles éparses, on peut raisonnablement croire que la plupart des Malgaches étaient surpris de leur existence. Le 10 février 1976, Didier Ratsiraka, élu entretemps Président de la République, écrivait au Secrétaire Général de l’ONU faisant valoir «les droits historiques de Madagascar sur ces îles». Affirmation quelque peu audacieuse quand on sait qu’aucune prise de possession, même symbolique, de notre part n’a jamais eu lieu. Le 14 octobre 1958, le Congrès des assemblées provinciales votait, par 208 voix et 26 abstentions, le sort de Madagascar : «État libre, sous la forme républicaine». Le lendemain, le Haut-Commissaire André Soucadaux s’adressait à ce Congrès : «Autorisé par le Gouvernement de la République, je prends acte en son nom du vote intervenu le 14 octobre 1958. Je proclame en son nom que le Gouvernement de la République reconnait solennellement l’institution de l’État malgache, la caducité de la loi (d’annexion) du 6 août 1896». Si les îles Juan de Nova et Europa avaient été déclarées «dépendance de la France» par l’acte du 31 octobre 1897, et l’érection du pavillon français, si cet acte avait été pris en application de la loi du 6 août 1896, et si le Haut-Commissaire de la République française déclarait cette dernière loi caduque : CQFD... Sur le terrain, et dans la réalité, on est moins dans des arguties juridiques théoriques que dans la présence physique très militaire sur les îles éparses d’un détachement du 2ème RPIMA : dissout en 1962, ce régiment des parachutistes d’infanterie de marine allait renaître en 1965 à Ivato, où il restera basé jusqu’en 1973, et l’évacuation de toutes les troupes françaises. Le 10 mars 1952, André Soucadaux, le Haut-Commissaire de la France à Madagascar, accordait au franco-mauricien Hector Patureau une concession de quinze ans sur Juan de Nova. Ce contrat sera modifié en juillet 1961, par le Préfet de la Réunion. Le 1er avril 1960, en effet, la France avait pris la précaution de détacher les îles éparses de la colonie Madagascar. Leur exploitation (coprah, cocoteraie, guano) était confiée à des particuliers. Comme par exemple la SOFIM (société française des îles malgaches) qui employait des ouvriers mauriciens et seychellois. Des îles éparses sans appelation malgache donc, mais une «société française des îles malgaches» : voilà sans doute une première idée de la co-gestion sur ces îles éparses évoquée par l’ancien président français François Hollande... Quoique : le concept de co-gestion avait d’abord été avancé par la Commission de l’Océan Indien en 1999. Et c’est ainsi que des négociations bilatérales ont permis à la France et l’île Maurice de conclure le 7 juin 2010 un accord-cadre de «cogestion économique, scientifique et environnemental» sur Tromelin, sans qu’il soit question d’abandon de souveraineté par la France. Cette démarche amiable a évité à la France l’ignominie d’être traitée de pays colonial comme a eu l’audace de dire Anerood Jugnauth, ancien Premier Ministre mauricien, à propos du contentieux britannico-mauricien à propos de l’archipel des Chagos : en obtenant le vote de la résolution du 22 juin 2017, l’île Maurice en a fait une affaire de décolonisation qui ne peut se régler de façon bilatérale. Depuis le 31 octobre 1897 jusqu’au 1er avril 1960, et depuis cette époque jusqu’à ce jour, en passant par la loi française 2007-224 du 21 février 2007, qui fait des îles éparses le cinquième district des Terres Australes et Antarctiques Françaises ou l’octroi, en décembre 2008, de permis exclusifs d’exploration offshore, la France a maintenu avec rigueur une position de principe. De son côté, Madagascar n’a pas toujours eu cette cohérence dans l’approche des îles éparses : inconnues avant 1896, négligées en 1960, revendiquées pour le principe seulement en 1973. Le 8 novembre 2017, dernier, en Conseil des Ministres, Madagascar incluait les îles éparses dans sa ZEE. Mais, savons-nous seulement que le 5 mai 1962, le gouvernement malgache transmettait à l’ambassade de France les dossiers administratifs concernant les îles Glorieuses et Juan de Nova ? Reste le symbole, qui pour être symbolique n’est pas fictif au niveau de l’affect. Le Président de la République l’a diagnostiqué : «Pour le peuple malagasy, l’appartenance des îles éparses est une question d’identité nationale».
Plus récente Plus ancienne