Occupation abusive des terres par des étrangers


Vatomandry-Mahanoro figure parmi les six foyers de colonisation sur la côte Est, avec Antalaha-Sambava, Maroantsetra, Toamasina (Feno­arivo-Andevoranto), Mananjary-Manakara et Farafangana. D’après Jean Fremigacci (La colonisation à Vatomandry-Mahanoro, Espérances et désillusions 1895-1910), dans la Revue historique Omaly sy Anio, 1976), le pouvoir des Komandy ou gouverneurs merina annonce déjà celui de leurs successeurs, les administrateurs français. Ces gouverneurs essaient de résister sans succès aux empiètements de ces derniers, mais pour l’essentiel, leur action vient appuyer les desseins des Vazaha sur deux points fondamentaux (lire précédente Note). L’ouverture de la région au commerce de traite d’abord, explique l’auteur de l’étude. En 1899, dans un rapport au nouveau maitre, l’ancien gouverneur de Vatomandry se glorifie : « Depuis 1880, date de mon entrée en fonction comme gouverneur, j’ai encouragé le commerce et l’agriculture qui ont été bien prospères. Ce qui, en attirant les commerçants européens et les Hova, augmenta la population de Vato­mandry. Ce centre s’agrandit en conséquence et le mouvement n’a fait que s’accentuer jusqu’à présent. » Foucart, de son côté, fait l’éloge du gouverneur de Mahanoro de l’époque qui, « sur les voies de communications à Madagascar,… manifesta des idées tout à fait exemptes de préjugés qu’ont habituellement les Antimerina sur cette matière ». La mainmise sur les hommes ensuite, poursuit Jean Fremigacci. Toujours selon le gouverneur de Vatomandry, il y aurait lieu de « faire travailler les indigènes de la circonscription qui sont d’un naturel paresseux et nonchalant. Lors de mon administration, je les encourageais à travailler et à commercer… » Mais les discours officiels ne suffisent pas, ils sont complétés par des menaces. C’est pourquoi les Betsimisaraka « se mirent à s’occuper sérieusement… le commerce du raphia prit un grand développement ». Catat est plus explicite. En réalité, les concessionnaires achètent la main-d’œuvre au gouverneur. « Le gouverneur en question, usant du fanompoana, la corvée, désignera tel ou tel village pour fournir des hommes aux concessionnaires. Ces hommes qui, en fait de paiement, ne reçoivent que des coups de bâton, désertent en masse et n’osent plus retourner dans leurs villages, se font bandits dans la brousse. Voilà comment on devient fahavalo (insurgés) à Madagascar. » Selon l’auteur de l’étude, cette assertion faite en 1890, est toujours fondée en 1920 ou à la fin de la seconde guerre mondiale. Catat indique qu’il existe quelques dizaines d’étrangers à Mahanoro en 1890, sur la côte, surtout de petits traitants dont l’activité semble être essentiellement la continuation de la piraterie par d’autres moyens. Mais Martineau donne des chiffres plus élevés, peut-être exagérés. Sur environ 500 étrangers établis sur la côte Est, Mahanoro en compterait 70 et Vatomandry 35. Les étrangers troquent des cotonnades, du sel et du rhum contre les peaux de bœuf, la gomme copal, le caoutchouc de cueillette et surtout le raphia. D’après le gouverneur de Vatomandry, les Betsimisaraka s’en sortent toujours appauvris. Et de souligner : « Ne sachant économiser, … ils échangent leur riz pour du rhum et, ivres alors, ils vendent bêtement les autres produits de leurs récoltes pour de la toile, du sel et d’autres bagatelles. Peu après arrive la disette, ils vont racheter à d’autres, à des prix exorbitants, le nécessaire qu’ils ont vendu à très bas prix. » Avec de pareilles pratiques, faut-il s’étonner si la mainmise sur la terre elle-même se fait rapidement ? Jean Fremigacci apporte pourtant une précision. Le gouvernement merina essaie de réglementer cette pratique en imposant son autorisation préalable et un enregistrement officiel sur toute location à bail emphytéotique, prévue par le traité franco-malgache de décembre 1885. Mais cette réglementation, « guère plus contraignante que le futur système des concessions coloniales à titre onéreux, n’est même pas respectée ». Le gouverneur de Mahanoro évoque auprès du Premier ministre l’affaire Wilson. Bien avant la guerre de 1883-1885, ce Mauricien confisque les terres d’un Betsimisaraka et récidive en 1892. Il précise au Premier ministre que « la plupart des plantations des Vazaha ne sont pas enregistrées à Mahanoro ». Les Betsimisaraka « ont peu de moyens pour la défense, alors qu’ils déclarent hautement que c’est leur tanindrazana, la terre de leurs ancêtres ». Et face aux étrangers qui usent de menaces et les trompent par des achats à des prix dérisoires, « les indigènes intimidés et se croyant être des esclaves d’un tel ou de tel autre, consentent et se laissent faire ».
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