Un gouverneur très indépendant de ses supérieurs


Si en 1817, les Français hésitent face à Madagascar, les Britanniques, au contraire, optent déjà pour « un style original d’approche coloniale» qui, malgré ses pièges possibles devrait convenir à Radama. Dans leur étude sur Radama Ier et les Anglais : les négociations de 1817 d’après les sources malgaches- Sorabe inédits (Revue d’études historiques Omaly sy Anio, 1976) Charles Ravoajanahary, Ludvig Munthe et Simon Ayache font remarquer que cette nouvelle politique est due « à l’intelligence des situations et à l’imagination tactique de leur gouverneur de Maurice, Sir Robert T. Farquhar ». Écossais né dans une famille puritaine, ce dernier (1776-1830) occupe le poste de résident anglais aux Moluques quand, en juillet 1810, lorsque la Marine britannique prend possession de Bourbon (La Réunion), le commandement de l’ile lui est confié « malgré sa qualité de civil ». Dès la conquête de l’Ile de France (Maurice), il reçoit le titre de « gouverneur des iles Maurice, Bourbon et dépendances ». Pour l’ile Maurice, il est un grand gouverneur. Excellent diplomate et administrateur rusé, en particulier dans le domaine financier, il relève rapidement une économie ruinée par des années de blocus et rend sa prospérité commerciale à Port-Louis. Les trois auteurs de l’étude affirment qu’il réussit habilement à gagner les Mauriciens à la cause anglaise. Par l’intermédiaire du Rev. Lebrun, il établit des contacts étroits avec les chefs de la communauté noire. Sur le plan extérieur, sa grande affaire est l’alliance anglo-merina. Gouverneur de Maurice, il relève de la Couronne, mais il se montre toujours « très indépendant de ses supérieurs ». Contraint à l’innovation par un contexte colonial devenu, en 1815, très complexe dans l’océan Indien, sachant tirer parti des circonstances défavorables, Robert Farquhar semble aller au devant des désirs de Radama, en lui offrant l’appui de l’alliance anglaise. Pourtant, en 1815, ses buts ne s’éloignent pas encore des habituels desseins coloniaux. « Il se propose de supplanter la France en tout point, de saisir d’un coup tout l’héritage français, droits historiques compris. » Les auteurs de l’étude soulignent que le gouverneur de Maurice estime que les traités de 1814-1815 l’y autorisent. Les conventions signées à Vienne, si elles restituent à la France ses anciennes possessions de 1792, dont l’ile Bourbon, attribuent à la Grande-Bretagne l’ile Maurice « et ses dépendances ». Ignorant « sciemment » que les traités précisent « nommément Rodrigues et Seychelles », il considère que Madagascar lui revient et s’empresse d’y prendre pied, à Port Louquez, entre Diego-Suarez et Vohémar. Le 25 mai 1816, il écrit une lettre au gouverneur de Bourbon, le général Bouvet. « Par dépêche des ministres de Sa Majesté, il m’est ordonné de regarder l’ile de Madagascar comme ayant été cédée à la Grande-Bretagne… Il m’est également enjoint de réserver pour l’Angleterre l’exercice exclusif de tous les droits dont la France jouissait autrefois. » Ce qui est neuf dans ses projets de 1815, ne vient pas encore de lui, précisent les trois auteurs. Car s’il proclame sa volonté d’abolir la traite, « particulièrement active à partir de Madagascar », alors qu’il montre « beaucoup plus de bienveillance à l’égard de ses administrés, propriétaire ou traitants d’esclaves », c’est parce que le gouvernement britannique l’ordonne. « De nouvelles conceptions ou nécessités économiques ainsi qu’un puissant mouvement d’opinion anti-esclavagiste viennent de conduire la Grande-Bretagne à cette décision (1807-1813) enregistrée sur sa demande au Congrès de Vienne en 1815. » Robert Farquhar tourne ainsi le dos au colonialisme classique. Pour les Anglais, ceci remonte aussi au XVIIe siècle, « traditions de la Compagnie anglaise des Indes orientales » abandonnée à regret. Ses navires fréquentent Sainte-Marie, la baie d’Antongil et surtout Saint-Augustin. Mais tout essai d’installation (Smart à Saint-Augustin, Hunt à Nosy Be…) échoue. Au XVIIIe siècle, l’ile est surtout fréquentée par les pirates anglais, dont certains se fixent sur la côte Est, comme Thomas White, père de Ratsimilaho. Mais il inventera avant l’heure une politique « néocoloniale » sous la pression de circonstances contraires à ses premières ambitions. Le gouvernement de Bourbon, scandalisé par son attitude arrogante, ne tarde pas à alerter Paris qui intervient auprès de Londres. Le 18 octobre 1816, une dépêche de Lord Bathurst, secrétaire d’État aux Colonies, enjoint à Robert Farquhar de « remettre aux autorités françaises de Bourbon les établissements que le gouvernement français possèdent sur les côtes de l’ile de Madagascar » en 1792. Car le gouvernement anglais se soucie beaucoup plus « de soutenir Louis XVIII contre les Jacobins que Farquhar contre Bouvet » !
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