Le temps du pessimisme


À moins d’être cloîtré, par choix ou par contrainte, dans un sédentarisme radical, tout être humain connaît la sensation éprouvée lors d’un voyage retour : une modification de notre perception du temps s’opère. Le retour, comparé à l’aller, semble plus court. Ce phénomène de la vie quotidienne, qui a fait l’objet d’une étude dirigée par le psycho­logue néerlandais Niels Van de Ven, a été baptisé « Return trip effect ». Selon cette équipe, l’enthousiasme et l’entrain, animés par les perspectives de découverte, nous offrent une perception de ralentissement de la trotteuse. Dépouillé de nouveauté, le retour est vécu dans l’indifférence et le pessimisme qui mettent, sensiblement, la montre en avance rapide. La connaissance de cette théorie m’a conduit à la réflexion sur un autre type de trajet qui, à la différence du premier dont il a été question dans l’introduction, est inéluctable : celui de notre voyage à travers les âges. On a tous déjà fait ou entendu ce constat : le temps semble avoir été dopé, il est plus rapide qu’avant. Et c’est là qu’interviennent Van de Ven et son équipe. Si suivre le rythme infernal imposé par la fuite unidirectionnelle du temps est, pour nous, une course éreintante, c’est à cause de cette énorme emprise que le pessimisme exerce sur nous. L’atmosphère sociale, assombrie par les nuages du catastrophisme, booste la marche -ou plutôt la course- de l’Histoire, comme l’invention de Gaston Lagaffe qui a doté sa vieille Fiat 509 -non sans conséquences- d’une vitesse de 160 à l’heure, un gag qu’on peut trouver dans l’album «Lagaffe mérite des baffes» (A. Franquin, 1979). Plus notre vision du futur, alimentée par une imagination gouvernée par l’inquiétude, est enluminée d’images où la place accordée au bonheur est minuscule, plus le temps semble être pressé de nous précipiter dans cet avenir tant appréhendé. En ce moment, on redoute l’instant imminent où on sera confrontés à une épreuve située, sur l’échelle des décisions difficiles, entre le dilemme de Rodrigue dans le Cid (P. Corneille, 1637) et le terrible choix de Sophie Zawistowska dans Le choix de Sophie (W. Styron, 1979) : on nous demandera, normalement au mois de novembre et au mois de décembre pour un très probable second round, de choisir entre la peste, le choléra, la tuberculose, et autres fléaux. On présage facilement des semaines de combats acharnés, qui prendront de vicieux relents personnels et qui se déploieront sur une ligne du temps qui sera de plus en plus ténue. Comment s’étonner de la résistance de ce pessimisme quand on est nous-mêmes, dans un état qui relève du sadomasochisme spirituel, friands de faits divers ou d’autres infos, vraies ou intox, qui entretiennent le dynamisme de ce pessimisme. La cadence de la succession des mois sera de plus en plus intenable à mesure que l’avenir, qui se dessine dans notre tête, conserve ce caractère chaotique similaire à certaines toiles tumultueuses de Van Gogh. Il n’est alors pas nécessaire de monter dans la DeLorean du doc Emmett Brown de Retour vers le futur (R. Zemeckis, 1985) pour avancer notre inexorable rendez-vous avec l’avenir. Se joindre à la prière dupoète : « Ô temps ! Suspends ton vol et vous, heures propices ! Suspendez votre cours » (A. de Lamartine, Méditations poétiques, 1820) ne serait qu’un acte de désespoir vain perdu d’avance. Par Fenitra Ratefiarivony
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