Rova d'Antananarivo - Polémique autour d’un amphithéâtre


« Pour que la mer ne soit plus la limite de notre rizière » Tous les yeux sont rivés vers le Palais de la reine. Au pied du Rova se dresse une énorme arène tout en béton, destinée à faire connaître l'histoire du pays de manière éducative, populaire et culturelle. Cependant, bien qu’elle soit construite dans le but de renaître la fierté et le patriotisme national, sa construction a suscité de vives réactions au sein de l’opinion. Combien sont-ils, même parmi les plus âgés de la génération actuelle, à connaître cette date pourtant historique ? Et parmi eux, combien s’en souviennent ? Sûrement peu, trop peu. Le 23 mai 1917, Ranavalona III « tournait le dos » au fond de son exil algérois à 56 ans, d’une embolie cardiaque. C’était il y a 103 ans, mois pour mois, et presque jour pour jour à une semaine près. Ironie d’une de ces coïncidences qui ne s’expliquent pas, c’est en ce mois de mai même qu’une polémique est entretenue par une frange de Conservateurs contestant la construction déjà très avancée d’un « Kianja Masoandro » à l’endroit même où la petite Reine avait jeté en avril 1893 les fondations d’un palais « Masoandro » qui tourna court avec la victoire des troupes françaises. Pour les initiateurs du Kianja, l’édifice est appelé à être une continuation, actualisée et adaptée aux temps présents, de ce qu’avait commencé Ranavalona III, donc à triompher à posteriori du diktat du colonisateur. Il sera un symbole fort de la souveraineté retrouvée. Par-delà les non dits à caractère politique, les purs et durs arguent de la sacralité des lieux, le fameux « hasina » qui interdit d’y effectuer des modifications, sous peine de sacrilège. C’est bien mal connaître l’histoire du Rova qui n’a jamais été un espace figé, mais une cité royale où les tenants du pouvoir successifs n’ont jamais fait grand cas de l’œuvre de leur prédécesseur. Ils n’hésitant pas à l’abandonner ou même à la raser pour la remplacer par quelque chose de plus à leur goût. Trois cases royales ont par exemple porté le nom de Besakana: celle d’Andrianjaka, premier souverain d’Antananarivo, celle d’Andriamasinavalona (1680), et celle d’Andrianampoinimerina (1800). Le Masoandro d’Andrianjaka fut reconstruit par Andrianampoinimerina puis dépl acé à Ambohimanga par Ranavalona I. Des…Masoandro se sont succédés au Rova jusqu’au projet avorté de la dernière reine. Ranavalona I qui s’était autoproclamée « Rabodonandrianampoinimerina » pour se légitimer n’hésita pas à enlever le Manjakamiadana du grand roi pour le remplacer par le sien. Le premier Tranovola de Radama I qui fit l’admiration de plus d’un visiteur étranger fut détruit pour être remplacé par un autre destiné à Radama II. Une fois devenu le maître du pays, Gallieni déplaça les tombes Fitomiandàlana du Sud-Est au Nord-Est où on pouvait mieux les surveiller. Il craignait que des rebelles ne s’y adonnent au culte des ancêtres pour se ressourcer. Mahitsielafanjaka connut des apports nouveaux dont son soubassement en pierre, et fut totalement reconstruit après le cyclone de 1929 sans tenir compte de ses caractéristiques initiales. Les dispositifs de sécurité Ce qui a, intentionnellement ou pas, échappé à la perspicacité des contradicteurs, c’est que la construction d’un amphithéâtre, dont la mission s’intègrera à celle du Musée, ne relève pas plus du sacrilège ou de l’hérésie que l’utilisation sans limite du béton pour la structure du Manjakamiadana nouveau, lequel n’a plus rien de commun avec l’ancien hormis l’aspect extérieur : une hauteur totale de 66 mètres de béton, dont 23 sous terre et 43 à l’air libre, qui dit mieux ? Avec ou sans incendie, l’ancien palais aurait fini par s’affaisser sur lui-même pour au moins trois raisons : la mauvaise qualité d’une partie du sol, le fait que Jean Laborde n’a fait qu’y planter des piliers en bois tels des tiges d’allumettes, et l’absence d’interaction réelle entre le « palais de bois » intérieur et l’enceinte de pierre que Cameron n’a d’ailleurs fait qu’aligner d’une manière empirique. Bien plus encore que le Kianja Masoandro, les travaux en cours à l’intérieur même de Manjakamiadana éloignent le Rova d’un remake de sa version originale que certains confondent avec une sacralité à respecter. Les équipements doivent être aux normes des Etablissements recevant du public (ERP) aux fins d’obtenir l’agrément des assureurs et l’autorisation d’ouverture. Les dispositifs de sécurité qui manquaient cruellement à l’ancien Palais doivent cette fois-ci être sans faille, pour ne citer que les caméras de surveillance, les dispositifs anti-feux pouvant inclure un système de dispersion automatique de poudre, les détecteurs de fumée et autres signaux d’alarme… Les murs comprendront un réseau dense de canalisation électrique et de plomberie. Pour l’éclairage la fibre optique peut être envisagée comme dans tous les grands musées du monde, onéreuse à l’installation mais pas à l’exploitation. Pas un mètre carré de béton, pas un fil ne sera apparent, mais sera dissimulé par les plus beaux bois du pays comme le préconisent d’ailleurs les Chartes d’Athènes et de Venise sur la restauration des monuments historiques. L’accessibilité des étages devra être garantie aux personnes âgées et aux handicapés, ce qui nécessitera l’installation d’un ascenseur dans une des tours. Encore un pas éloignant le palais d’une conception plus que primaire de sa sacralité. Le Rova dans son ensemble ne devra surtout pas être une nature morte. Il sera un pôle culturel de tout premier ordre, avec notamment un Centre de documentation utilisant toutes les possibilités offertes par la technologie moderne, des programmes d’activité attractifs, des relations suivies avec les autres Musées du monde, un amphithéâtre en plein air aux normes pour les reconstitutions historiques en live. Qu’on nous dise où est le sacrilège ? Suzanne Razafy Andriamihaingo, premier conservateur malgache nommée en 1946 après avoir été chargée de mission pendant quatre ans au Musée de Versailles, avait eu cette réflexion prémonitoire : « Le Rova d’Antananarivo, qui demeure un symbole, ne l’est pas exclusivement de l’histoire de l’Imerina. Il est aussi un patrimoine national de l’Île entière. Pourquoi ne serait-il pas envisageable de consacrer des salles aux autres régions, aux personnages importants qui ont fait notre histoire commune ? Il est temps que ce Rova d’Antananarivo soit regardé comme le symbole de l’unité malgache en se transformant en un vaste Musée de l’histoire de Madagascar. Au sortir de la Salle du Trône cette pensée me hante toujours, et je suis convaincue qu’elle se transformera en réalité ». On est actuellement à cette croisée des chemins. Les esprits sclérosés doivent se faire à l’idée que ces lieux ne sont pas le bien exclusif d’une ethnie ou d’une caste. Les époques passent, le Rova est appelé à vivre une mutation sans pour autant se dépersonnaliser.
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