Génocide Rwandais - Mais que reprochait-on à la France ?


Avril 1994, un missile de provenance inconnue abattait à l’atterrissage à Kigali l’avion du président du Rwanda, Juvenal Habyarimana qui rentrait d’un sommet régional à Dar-Es- Salam. Le président du Burundi voisin, Cyprien Ntaryamira, était également à bord. Aucun survivant. Apprenant la nouvelle, un membre du gouvernement français s’exclama : « Il y aura 100 000 morts ! » Il était loin du compte, puisque la tragédie en aurait fait huit ou neuf fois plus. CINQ mois plus tôt, le précédent président du Burundi, Melchior Ndadaye, un Hutu comme Habyarimana, était assassiné par des officiers tutsis nostalgiques d’un pouvoir militaire dont ils tenaient les rênes. Les troubles qui s’ensuivirent firent des dizaines de milliers de victimes, ils préfiguraient ce qui allait également éclater au Rwanda qui avait exactement la même composition ethnique : d’un côté les Tutsis qu’on disait grands, cultivés, racés, et de l’autre les Hutus qui seraient leur antithèse, petits, trapus, « paysans ». Mais rien n’était plus faux que cette classification aussi hâtive que superficielle. L’opposition entre les deux communautés était avant tout un antagonisme monté par la colonisation, qui a vite fait de lui donner des connotations tribales, voire raciales. C’était la trop bien connue règle du « zarazarao hanjakàna » inhérente à la stratégie coloniale. À la suite de massacre dont sont victimes les Hutus burundais en 1972, le pouvoir rwandais se lance dans une chasse aux sorcières en guise de représailles contre les Tutsis, amenant beaucoup de ces derniers à s’exiler en Ouganda. De là ils n’ont plus qu’un rêve : reprendre le pouvoir confisqué par le hutu Habyarimana qui allait gouverner le Rwanda pendant vingt ans jusqu’à sa mort tragique. En 1987, les exilés créent le Front Patriotique Rwandais d’obédience marxiste, dont la branche armée est sous le commandement du Major Paul Kagamé. Le 1er octobre 1990, ils lancent l’offensive. Les Hutus établis près de la frontière sont victimes des combats et de massacres. Les survivants doivent s’enfuir. Le gouvernement hutu de Kigali organise, sans état d’âme, la riposte et appelle au secours des pays amis, dont la France qui dépêche un contingent destiné à aider les forces gouvernementales rwandaises à stopper l’agression. Ce sera l’opération Noroit que le tutsi Paul Kagamé ne pardonnera jamais à la France. Les combats se poursuivront jusqu’ en 1994 en dépit de tous les efforts de règlement politique. Dans les heures qui suivent l’assassinat du président Habyarimana, les assassinats de Tutsis vont durer près de cent jours. Une cellule de crise se met en place au Quai d’Orsay avec pour principale préoccupation la sécurité des ressortissants français. Celle-ci ne pouvant plus être assurée, leur évacuation doit être envisagée. L’opération Amaryllis est déclenchée le 8 avril et s’achève le 14. Elle permet d’évacuer 1 400 personnes dont 400 Rwandais incluant la famille du président Habyarimana, dans des conditions de tension et de danger maximales. Deux gendarmes français et l’épouse de l’un d’eux sont retrouvés à leur domicile par une patrouille des Nations Unies, assassinés à la machette alors qu’ils essayaient de sauver des voisins tutsis. Le pays sombre dans la folie collective et la soif de sang. On massacre partout, dans les champs, dans les écoles, dans les hôpitaux, jusque dans les églises, de façon systématique, mécanique. Des prêtres y participent, des évêques ne réalisent pas qu’en absolvant, ils encouragent. C’est une machine infernale qui s’est mise en branle, implacable envers l’ethnie honnie. Que peut faire un pays étranger, même s’il s’agit d’une France réputée « africanophile » ? Le fait est qu’on a fini par l’accuser de complicité, et de soutien aveugle à la dictature d’Habyarimana. La seule question qui vaille la peine d’être posée, est celle de savoir si elle a eu raison ou non de répondre en 1990, à l’appel à l’aide d’un président légal et légitime pour arrêter l’offensive du FPR tutsi menée à partir de l’Ouganda. Le Rwanda était alors un pays francophone auquel la France était liée par des accords de coopération économique et militaire. Dans cette logique, il était tout à fait normal que le pays con trac tan t respecte ses engagements. Peut-être a-t-elle sous-estimé, sur le moment, le caractère autoritariste et raciste du régime en place rwandais ? Cela rejoindrai t les conclusions, publiées en ce mois d’avril 2021, d’une enquête confiée par le gouvernement rwandais à un cabinet américain, pour qui la France aurait favorisé l’éclatement du génocide mais n’en était pas complice. Interrogé sur le fait que la France n’ait pas emboité le pas à la Belgique ou aux États-Unis qui ont présenté leurs excuses pour leur passivité coupable lors du génocide, l’ancien Premier ministre Edouard Balladur a eu cette réponse, claquant aussi sec qu’un drapeau tricolore en haut de son mât : « La France n’a pas d’excuse à adresser à qui que ce soit. Elle a fait plus que n’importe quel autre pays pour sauver ce qui pouvait l’être. »
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