Madagascar sous le blocus anglais


«La Grande ile vit paisible, au point quele gouverneur général Léon Cayla, qui y exerçait alors son pontificat, la qualifiait, pour glorifier sa gestion, d’Ile heureuse»  (A.P. Marion, 1945). Septembre 1939 : Madagascar mobilise ses forces militaires et diminue, par contrecoup, son activité économique. Puis dès juin 1940, c’est l’incertitude : divers courants contraires l’entrainent vers le désordre et… l’histoire. Car pour la première fois, les stations radios occidentales commencent à le mentionner, même si à l’époque (1940-1942), « hormis quelques petits clans, quelques isolés sonores, il n’y a pas, sur la terre du moramora, d’union concrétisant une opinion politique susceptible de canaliser des idées identiques, de constituer un élément dynamique et non une force statique ». Et si l’appel du général de Gaulle, le 18 juin 1940, ses « vibrantes objurgations » au cours des mois qui suivent ont des échos, cela reste des échos. Madagascar comme tant d’autres colonies, vit « en tutelle avec une administration sacro-sainte, infaillible, omnisciente ». Du reste, en juillet 1940, une grande revue militaire métropolitaine précise le rôle que doivent désormais jouer les colonies sur l’échiquier international : rester aux côtés de « Vichy-Allemagne ». Ainsi, la Grande ile se retrouve sur la liste noire de l’Amirauté britannique qui étend le blocus jusqu’à ses rivages devenus suspects. Et pour compliquer le tout, outre les slogans anti-« de Gole », « la presse devient le dépotoir idéal d’atrabilaires plumitifs, dont les Anglais sont le gibier préféré et qui n’oublient pas de demander aux Japonais de protéger Madagascar contre toute lâche agression ». Face à ce conflit « franco-français », le vécu quotidien de la population se détériore, et on constate une recrudescence des actes de banditisme. Les brigandages, souvent à main armée, s’étendent à de vastes régions de l’Ouest. Les cambriolages dans les villes atteignent leur apogée. À Antanana­rivo, à la faveur de la nuit, dans les coins écartés, on peut se faire dévêtir en un tour de main et laisser nu, tandis que le voleur, « pauvre bougre à court de linge, s’efface dans l’ombre ». Les produits ne s’exportent plus que très difficilement, les lois de protection créent des cours fictifs et la France paie plus cher que les États-Unis pour des produits qu’en temps de paix, elle n’importe presque pas. Les magasins doivent vendre jusqu’à épuisement de leurs stocks « pour faire croire que tout est normal et, peut-être aussi, que l’on est toujours approvisionné ». On exclut tout contrôle, on bannit longtemps toute idée de bon ou de carnet, on endigue trop tard les hausses. Cette politique illogique et imprévoyante crée le marché noir. « Il devait fleurir et fructifier au-delà des plus belles folles espérances, au point de faire accroire que le pays est spécialement adapté à ce genre particulier d’exploitation indirecte du pauvre par les profiteurs et les aigrefins. » On fait « des battues » dans les campagnes lointaines, sous prétexte de protéger le paysan. « Les agents d’exécution se muent en super-aigrefins et leurs razzias, au nom de la loi, ne sont pas prêtes d’être oubliées. » Il semble qu’un régime collectiviste s’ébauche. Mais en fait, l’enrichissement « éhonté » des uns a, pour « lugubre contrepartie », une régression marquée des populations éloignées des centres et due à la mévente et au marché noir. Le résultat ne doit pas tarder à apparaitre et doit persister longtemps : le goût du travail disparait, le « laisser-faire, le laisser-aller reprennent leurs droits ». « Le dépouillement des humbles doit être encore parachevé par ces vestiges d’une époque désuète : les chefs de canton, ces vautours, se basent sur les possédants les plus modestes, tantôt pour des souscriptions au Secours dit national, tantôt pour forcer la main pour des billets, que l’on ne remet jamais, de la loterie dite malgache. » Parallèlement, les postes médicaux sont vides : les médecins et les infirmiers se contentent de remplir du papier. Les petits enfants, faute de mieux, sont couchés dans la cendre encore chaude du foyer, dans les zones froides où la mort guette ceux qui ne sont pas suffisamment protégés. Du reste, les Malgaches revêtent les tissus en raphia, comme l’ont fait leurs ancêtres cent cinquante ans plus tôt ! Enfin, il y a les files de gens qui attendent des heures interminables devant le « bureau », qu’on veuille leur délivrer une autorisation d’acheter un peu de riz, de sel, de sucre… Texte : Pela Ravalitera - Photo : Archives personnelles
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