Grand Sud - L'insécurité alimentaire, un problème multisectoriel


La population de l’Androy opte pour de nouvelles activités de survie. Mais sans équipements adéquats, leur situation ne s’améliore pas de manière sensible. Il est midi ce samedi 18 juin, à Satrie, un petit village de la commune rurale d’Ambazoa, dans le district d’Ambovombe, région Androy, lors d’un voyage de presse initié par le Bureau national de la gestion des risques et des catastrophes. Jean Baptiste Lahy, un octogénaire, est assis devant sa petite maison. Il darde son regard impatient vers le sentier qui mène à un champ de cactus. Ses enfants devront arriver de cette direction, d’une minute à l’autre, pour apporter le repas festif du foyer: des cactus rouges. Quelques minutes plus tard, six enfants de bas âge, très amaigris, le visage émacié, les yeux creusés, font leur apparition. Cest la progéniture de Jean Baptiste Lahy. Ils se ruent vers la maison avec les sacs pleins de fruits rouges, qu’ils transportent avec précaution. Visiblement, supporter le poids de ces sacs n’est pas une tâche facile pour eux. De la ruisselle sur leur visage, leur corps est si frêle que l’un d’eux, un sac sur la tête, risque de tomber à tout moment. Mais ils n’ont pas le choix. Ils doivent se sacrifier pour que toute la famille ne meure pas de faim. Pour la petite histoire, Jean Baptiste Lahy, le chef de famille, a dépensé tous ses biens, lors du décès de son père. Après les funérailles, il a convolé en justes noces avec une adolescente de 14 ans, qui lui a donné treize enfants, dont six n’auraient pas survécu pour une raison inconnue. Depuis, sa vie ne cesse de se détériorer, il n’arrive même plus à subvenir aux besoins  de sa famille. [caption id="attachment_2436" align="aligncenter" width="292"]Les fruits du cactus rouge constituent l’alimentation de base  de nombreux habitants d'Ambovombe. Les fruits du cactus rouge constituent l’alimentation de base
de nombreux habitants d'Ambovombe.[/caption] Choquant En 2014, l’image de ces mêmes enfants, très amaigris mais le ventre bien gonflé, fait la une de tous les médias nationaux et même internationaux, pour véhiculer et illustrer une situation d’insécurité alimentaire alarmante dans la région Androy. « Depuis, on fait la queue pour aider cette famille à cause de sa vulnérabilité», souligne Paubert, un natif de la région qui a entrepris une recherche sur le problème d’insécurité alimentaire chronique dans l’Androy. Dans cette optique, la vie de Jean Baptiste Lahy aurait dû s’améliorer. Malheureusement, si l’on compare l’image de ses enfants d’il y a deux ans et celle d’aujourd’hui, rien ne semble changer. La famille souffre toujours d’une sous-alimentation sévère. On pourrait même dire qu’ils sont dans une situation beaucoup plus critique. Le chef de famille vieillit, son épouse est affaiblie par la piqûre d’un insecte, depuis quelques jours. Ils sont devenus presque invalides, incombant à leurs enfants la lourde tâche de subvenir aux besoins primaires de la famille. [caption id="attachment_2437" align="aligncenter" width="277"]Des blessures se voient sur les cuisses de ce pe`re de famille, car elles lui servent de support pour fabriquer des cordes. Des blessures se voient sur les cuisses de ce pe`re de famille, car elles lui servent de support pour fabriquer des cordes.[/caption] Manque de coordination La majorité des habitants de l’Androy bénéficie d’une aide, parce que la sécheresse a généralisé l’insécurité alimentaire dans le Grand Sud. Tous ceux qui ont les moyens, s’y précipitent pour soutenir les victimes de cette catastrophe naturelle. « On ne sait plus combien de projets travaillent dans la région car ils sont très nombreux, dont ceux qui s’attèlent à l'adduction d'eau potable, à l’appui en alimentation, au contrôle de la santé et du développement des enfants, et tant d’autres», souligne un responsable. Mais ces projets ont beau être nombreux, visiblement, les Antandroy ne sont toujours pas sortis d’affaires. Les autorités locales parlent d’un manque de coordination. « Parfois, des projets empiètent les uns sur les autres », précise le chef de la région Androy, le lieutenant-colonel Michaël Randrianirina. [caption id="attachment_2438" align="aligncenter" width="283"]Dès que la pluie tombe, les paysans de l’Androy se hâtent de semer des grains. Dès que la pluie tombe, les paysans de l’Androy se hâtent de semer des grains.[/caption]   Origines multisectorielles En se basant sur l’histoire des villageois de l’Androy et des projets et programmes qui y sont  établis pour aider la population à se relever, on peut déduire que l’origine de l’insécurité alimentaire persistante est multisectorielle : culture, volonté politique défaillante, économie mal exploitée. « Les Antandroy accordent beaucoup d’importance à la mort. Nous sommes obligés d’avoir un grand troupeau de zébus car c’est une sorte de passeport vers la vie de l’au-delà, selon notre croyance. À notre mort, tous nos biens doivent nous accompagner et si jamais le défunt n’en a pas, ses proches doivent s’en procurer. C’est pourquoi certains morts ne sont enterrés que des mois ou des années après leur décès», explique Berthine. On a constaté également que les Antandroy accordent peu d’importance à leur existence. Ils vivent dans une très petite case, alors que leur bétail occupe un enclos très large. « Notre enclos est très grand, comme cela, le nombre de nos zébus augmente rapidement », essaie d’argumenter un habitant. Ce rite semble toutefois dépassé, petit à petit, en raison de la propagation du christianisme d’une part, et du problème de l’insécurité alimentaire, d’autre part. Plusieurs villageois affirment qu’ils ont vendu leurs zébus. « Depuis novembre, j’ai vendu mes quatre animaux, le dernier, en février pour 150 000 ariary (ndlr : un zébu est normalement vendu entre 300 000 et 700 000 ariary), car on n’avait plus rien à manger à la maison», signale Avimanana, un pêcheur d’Amboromihole. En revanche, les Antandroy croient beaucoup en la terre et évitent de la vendre autant que possible. « Cette terre sera la source de vie de ma progéniture », précise un père de famille. [caption id="attachment_2439" align="aligncenter" width="287"]Un bidon de 20 litres se vend a` 2 000 ariary en milieu rural. Un bidon de 20 litres se vend a` 2 000 ariary en milieu rural.[/caption] Une volonté politique défaillante Les natifs et intellectuels de l’Androy pointent du doigt la volonté politique défaillante des dirigeants. « Le problème de l’Androy repose sur l’absence de volonté politique et le problème de bonne gouvernance », crient-ils. « Le projet d’irrigation d’eau à Ambovombe et ses environs aurait dû se réaliser en 2008. Le financement était déjà prêt. Mais pour des raisons incompréhensibles, il a fallu le rendre aux bailleurs, sans même commencer le chantier», poursuivent-ils. Durant la concertation nationale pour la résolution de la situation dans le Sud, organisée en février à Ambovombe, plusieurs autorités locales ont été absentes et ce sont les autorités d’Antananarivo qui ont rempli la salle de réunion. « Pour des raisons que j’ignore, je n’étais pas invité », s’étonne Célestin Manasoa, maire d’Ambazoa, une des communes les plus vulnérables. Pourtant, solliciter l’avis des autorités locales est primordial pour résoudre ce problème. Le Bureau national de gestions des risques et catastrophes, appuyé par le Programme des Nations Unies pour le développement, envisage d’initier un atelier à Ambovombe en juillet. « Les autorités locales seront invitées à donner leur avis sur les priorités pour le relèvement du Sud. On vise le vrai développement de la région, surtout en matière économique. Le résultat de cet atelier sera compilé avec le résultat de l’atelier effectué à Antananarivo aujourd’hui (ndlr : 23 juin)», soutient le général de division, Charles Rambolarison. Espérons que cela fera bouger les choses et améliorera la situation des victimes de la sécheresse. Vers une « vie meilleure » Les migrations vers d’autres  contrées plus généreuses continuent et beaucoup rêvent de vivre sous d’autres cieux. «La plupart de mes proches sont déjà parties à Mahajanga ou dans le Nord de l’ile. Nous attendons juste d’avoir assez d’argent pour partir à notre tour, car il n’y a pas d’espoir de vie ici. Nous voulons une vie normale : manger sainement trois fois par jour, nous soigner, instruire nos enfants pour qu’un jour, ils puissent exercer un métier autre que l’agriculture qui est instable chez nous, en raison de la sécheresse», avoue une enseignante non fonctionnaire dans la commune de Marovato. Près d’un millier de personnes auraient quitté la commune, depuis novembre 2015. À Ambazoa, le maire, Célestin Manasoa, explique qu’il vise presque chaque jour les passeports de personnes qui veulent migrer. Dans d’autres endroits, les hommes sont partis travailler dans des gisements de saphir, laissant ainsi les personnes âgées, les femmes et les enfants au village. « Ils sont une quinzaine à partir chaque jour car ici, il n’y a aucune possibilité de gagner de l’argent. Quand ils en obtiennent, ils nous envoient de quoi acheter du maïs, du manioc ou du riz. Autrement, on ne mange que des cactus rouges », explique une mère de famille qui habite dans la commune d’Ambondro. A Ambondromamy, dans la région Sofia, les autorités locales expliquent qu’un car plein à craquer, débarque chaque jour, des personnes venues de l’Androy. Des activités peu exploitées Les Antandroy commencent à faire une reconversion professionnelle. Sur le littoral, de plus en plus de villageois s’adonnent à la pêche. « On peut gagner jusqu’à 10 000 ariary par jour dans cette activité. Mais le problème, c’est qu’on n’a pas le matériel pour la mener à bien, comme la pirogue, les filets, par exemple. Il faut acheter la pirogue à Toliara, car on ne peut pas la fabriquer ici. Cela nous coûte environ 500 000 ariary », se plaint un habitant d'Ambazoa. Dans d’autres localités, les villageois fabriquent des cordes à partir du sisal. Mais encore une fois, faute d’outils ils ne peuvent espérer une bonne production. C’est leur jambe qui leur sert de support pour tresser le produit. « Se faut une semaine pour faire une vingtaine de cordes de trois mètres », explique un habitant d’Ambondro. À Sihanamao, ils exploitent la forêt, en fabriquant du charbon de bois, des charrues. Une fois de plus, ils sont peu productifs, par manque d’équipements. Pourtant, ils affirment tous que s’ils sont bien équipés, ces activités peuvent les aider à surmonter le problème d’insécurité alimentaire. Des décès inexpliqués Durant notre passage dans l’Androy, des décès ont été enregistrés dans la majorité des communes que nous traversons. Comme à Marovato, le dimanche 19 juin, on tire avec un fusil pour honorer le défunt. À Antanandava-Sihanamahoa, une autre personne vient d’être enterrée. À Erada, trois enfants, victimes d’une intoxication alimentaire, auraient succombé il y a quelques semaines. Dans les centres de santé, aucun décès dû à la sous-alimentation n’a été signalé. Pourtant, les habitants de ces villages soutiennent que le problème d’alimentation est la principale cause de mortalité. « Ces enfants avaient faim et ont mangé en cachette le manioc qui venait d’être mis à sécher. Ils ont déclaré qu’ils avaient mal au ventre, puis sont morts après », décrit Milavonjy Rapa Justin, un animateur villageois à Erada. « Chez nous, la mortalité est fréquente. Nous ne mangeons pas à notre faim, aussi n’est-ce pas étonnant si notre santé se détériore. De plus, quand on tombe malade, on n’a pas les moyens de consulter un médecin », explique Berthine, une habitante d’Antanandava-Sihanamao. Ainsi, même si la faim ne tue pas directement en Androy, elle y contribue amplement. Textes et Photos : Miangaly Ralitera
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