Le long de la RN4


Andriamasinavalona, emprisonné par son fils d’Ambohidratrimo et vendu comme esclave, fut racheté par une cotisation du Marovatana alors que la caravane allait atteindre le Vonizongo. Si l’itinéraire Boina-Imerina était pratiqué depuis que Salakava et Merina sont en contact, on suppose que les uns et les autres remontèrent ou descendirent les cours d’eau : les embarcations, arabes ou indiennes, empruntaient déjà régulièrement le fleuve Betsiboka depuis Majunga jusqu’à Marovoay. Louis Catat notait, en 1889, que les boutres arrivant de Bombay, mouillaient en rade de Majunga où elles étaient accostées par des boutres vides qui acheminaient les «indiennes et patnas», «percales anglaises», «drill américain», sur Marovoay où un douanier corrompu délivrait un laisser-passer de complaisance faisant passer ces importations pour de la marchandise locale. Le voyage scientifique du médecin français, Louis Catat, missionné par le Ministère de l’Instruction publique, s’inscrivait dans un contexte particulier : le traité du 17 décembre 1885 avait théoriquement établi un protectorat français sur Madagascar ; néanmoins, dans le domaine susceptible des relations avec l’extérieur, le Gouvernement malgache persista à avoir son Ministre des Affaires étrangères, en la personne d’Andriamifidy, et avait nommé un consul à Londres (Paul Le Mière) et Port-Louis (Samuel Procter). Le Gouvernement britannique s’ingéniant manifestement à contrarier les prétentions de la France en attendant l’accord franco-britannique de 1890. Le CEDS (Centre d’Études Diplomatiques et Stratégiques) a emprunté cette RN4 avec l’idée de s’arrêter dans certaines localités où, généralement, les vacanciers pressés ne font que passer sans même faire halte : Ankazobe, Andriba, Tsaramandroso. Et si on épuisait cette logique et créait des centres d’intérêt littéralement en dehors des sentiers battus ? Il est où, par exemple, ce village sakalava de Maharidoza, avant Kiangara et Andriba, dont les habitants refusèrent de donner des vivres aux Français qui quittaient Antananarivo pour rejoindre Majunga, la guerre ayant été virtuellement déclarée depuis l’envoi de l’ultimatum (16 octobre 1894) et le rejet de ses conditions par le Premier Ministre Rainilaiarivony (22 octobre) ? (cf. Callixte Savaron, «Mes souvenirs de la descente à Majunga avec l’escorte : 27 octobre - 20 novembre 1894», Bulletin de l’Académie Malgache, n.s., tome XIII, 1930, pp.27-38). À Andriba, se trouvait en résidence un certain Ricoeur, employé de Suberbie. Dans une manoeuvre d’intimidation, les soldats malgaches avaient cerné sa concession, dans la nuit du 7 novembre 1894. L’escorte française de 90 soldats, commandée par le capitaine Lamolle, venue à la rescousse, dut subir sans pouvoir réagir : l’ancien Résident général Ranchot ayant convaincu ses compatriotes qu’il ne leur fallait pas donner prétexte à des représailles. Le hasard de la vie voudra qu’en ces mêmes lieux, Andriba, le mythe d’une grande bataille, qui n’eut jamais lieu, faute de combattants malgaches, perdure jusqu’à nos jours, passé dans le dicton «tsy misy mafy toy ny tao Andriba» : ç’aurait dû être le 21 août 1895 (cf. Manassé Esoavelomandroso, «Le mythe d’Andriba», in Omaly sy Anio, n°1-2, 1975, pp.43-65, Annexes)... En 1894, au village d’Ampasiry, résidait Bénévent, autre employé de Suberbie, Estèbe étant Résident français à Majunga. Cinq ans auparavant, le Vice-résident français à Majunga était encore Ferrand. La «présence française» sur cet itinéraire, qui avait pu être surnommé «le cimetière des Français», se matérialise par trois monuments dédiés «Aux soldats de l’expédition de 1895, morts pour la France». À Andriba, au bord de la route nationale ; à Maevatanàna, une stèle oubliée derrière l’ancienne station-service ; à Majunga, sur La Corniche, un complexe de blanc immaculé, manifestement bien entretenu, en tout cas mieux qu’aucun monument malgache dédié à des héros malgaches. Quel voyageur songeur, regardant cette eau rougeâtre cascadant sous les ponts construits par les artilleurs de Gallieni (1897-1901) avant d’être sabotés par les hommes du Gouverneur Général Annet fuyant devant les troupes britanniques de l’opération Ironclad (mai 1942), sait que la rivière Mahajamba emprunte aujourd’hui un autre lit ? L’ancien passait au pied du village d’Andranolava (référence à l’eau) qui sera rebaptisa Ankaraobato (référence à la pierre dans le lit asseché). En décembre 1902, et janvier-février 1903, il y eut persistance de pluies diluviennes : 93 heures de pluie sans arrêt notées à Marovoay, 97 heures en continu à Port-Bergé. La rupture de la terre emportée par les eaux en furie produisit un vacarme entendu à plusieurs kilomètres à la ronde. Depuis février 1903, le fleuve Mahajamba ne court plus aussi majestueusement vers la baie qui porte son nom sur le Canal du Mozambique, ayant rejoint la rivière Kamoro, et devenant un sous-affluent du fleuve Betsiboka (cf. «Sur la capture de la Mahajamba par le Kamoro», Bulletin de l’Académie malgache, n.s. Tome XIII, 1930, pp. 91-103). Une note de H. Perrier de la Bathie explique que «les roches cristallines du massif central sont décomposées presque partout en argiles latéritiques (...) L’absence de galets et l’extraordinaire abondance des sables dans les alluvions, la couleur rouge des eaux sont les caractéristiques les plus nettes des fleuves provenant du centre de l’île». La couleur rouge des eaux qui, par l’Ikopa, le Betsiboka et le Mahajamba, envasent, chaque jour, un peu plus le port de Majunga, est bien le «sang» des Hautes Terres centrales emportées par l’érosion. Il est où encore cet Ambohitromby, fort merina érigé lors de la guerre de 1883-1885 : «rectangle de plus de 500 mètres de côté. Ses fortifications sont faites de fossés et de remblais en pierres et en terre, avec des embrasures de distance en distance (...) au milieu, une enceinte palissadée qui entoure les trois cases de l’officier antimerina qui commande le fort» (Louis Catat, «Voyage à Madagascar (1889-1890)», p.252). Louis Catat y comptait «quatre canons lisses, en fonte» ; de même qu’à Maevarano : «quatre canons lisses, en fonte». Ces canons étaient «Made in Madagascar», produits par la Cité industrielle de Mantasoa, créée par le Gascon Jean Laborde sous le règne de Ranavalona 1ère (1828-1861). Deux autres canons existaient encore à Marovoay, en 1889. Mais, aujourd’hui, l’ancienne capitale des rois Sakalava est oubliée par la RN4. À cette époque, pourtant, Marovoay était «sensiblement aussi peuplée que Majunga, comptant 4000 habitants environ» : maisons en pierre habitées par les Indiens et les Arabes, maisons en terre occupées par les Antimerina, cases en roseaux où se loge la population «sakalava». Une halte à Ambato, sur les bords du Betsiboka, à quelques minutes de la rivière Kamoro ; une hate à Amparihibe, après Maevatanana, au confluent avec le Betsiboka ; une visite des «fortifications très complètes de Malatsy», village aux abords de la rivière Kamolandy, affluent de l’Ikopa... La RN4 mériterait un Office du tourisme culturel à elle seule.
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