La rumeur : beaucoup de bruits pour rien ?


«Des rumeurs de pénurie d’essence aboutissent… à une pénurie d’essence ». C’est ainsi que RFI résume, non sans un petit degré de moquerie, la semaine mouvementée écoulée : celle des queues infinies et de la chasse au trésor originale ayant pour objet de quête une pompe à même de remplir sa fonction de pourvoyeuse de carburant. Le contenu de la rumeur lancée est peut-être, chez nous, inédit (à vérifier) mais le comportement grégaire, consécutif à sa propagation est tout sauf insolite : plus que jamais, il se présente comme le symptôme de la psychose nationale, en permanence, en puissance, qui explose lorsqu’une rumeur met le feu et révèle surtout un état mental pathologique collectif, vulnérable à la piqure du bourdonnement (le buzz) d’une abeille à empoisonnement d’envergure nationale. Caractéristique d’une masse dont le sens du recoupement, si jamais il a existé, a été sectionné, amputé. C’est comme si le buzz avait le même pouvoir envoûteur que la succion d’un vampire. Un réflexe national pavlovien auréole la rumeur d’une aura aussi captivante que la lumière qui attire les insectes. Et vers cette lumière convergent des essaims d’internautes non-immunisés contre le virus ravageur qu’elle renferme : celui qui a été au départ de la pénurie d’essence ? Le Cheval de Troie, une ruse sortie du cerveau d’Ulysse pour duper les ennemis troyens selon l’Odyssée et l’Énéide (Virgile, -19), ne désigne-t-il pas un virus informatique ? Justement, quand internet vit une phase d’hégémonie incontestée, les chevaux de Troie prolifèrent sur la toile. Pour rappel, les Troyens firent entrer le cheval de bois dans lequel étaient cachés des soldats ennemis grecs qui ouvrirent la porte de la ville, prélude de la destruction totale de Troie. Et les internautes commettent la même erreur que les Troyens en ingurgitant, sans se renseigner sur les ingrédients, les « informations » qui tombent comme la chute des fruits d’un arbre. Mais on ne sait pas séparer les bons des pourris. Et, malheureusement, on consomme trop de fruits pourris. En ce moment, les réseaux sociaux sont surtout des champs de bataille : théâtre des ruses de guerre d’un autre genre, de l’emploi d’armes atypiques comme celle dont les rumeurs sont les munitions. Rien de mieux que de lâcher une infinité de bombes calomnieuses sur des personnalités abhorrées. Aucun mal à influencer une foule dépourvue du filtre du discernement et qui réagit par dogmatisme : elle avale sans peine une médisance sur une figure honnie mais fait preuve d’une résistance extrême quand une personne adorée, à un niveau d’idolâtrie fanatique, est visée. Socrate est un des plus fameux exemples de victime des rumeurs qui ont fini par avoir sa peau (au sens propre). Dans La caverne et l’ange gardien (G. Lesage, 2004), Socrate fait passer le test des trois passoires à Quidam qui ouvre le dialogue ainsi « Sais-tu ce que je viens d’apprendre sur ton ami ? ». Le test consiste en trois questions : « La première passoire est celle de la vérité. As-tu vérifié si ce que tu veux me dire est vrai ? (…) une deuxième passoire, celle de la bonté. Ce que tu veux m’apprendre sur mon ami, est-ce quelque chose de bon ? (…) Il reste une passoire, celle de l’utilité. Est-il utile que tu m’apprennes ce que mon ami aurait fait ? ». Trois questions qui ont chacune reçu une réponse négative. « Alors, conclut Socrate, si ce que tu as à me raconter n’est ni vrai, ni bien, ni utile, pourquoi vouloir me le dire ? » À méditer.
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