Rivo Rakotovao - « L’abstention est lourde de sens dans une démocratie »


La période de dépôt des dossiers de candidature pour les sénatoriales démarre, ce jour. En face l’opposition ralliée au sein du Groupe du Panorama, compte boycotter le processus. Président du Sénat et coordonnateur national du parti « Hery vaovao ho an’i Madagasikara » (HVM), Rivo Rakotovao explique les raisons de cette prise de position. Entretien. L’Express de Madagascar. Au fond, quelle est la raison du boycott des élections sénatoriales, notamment, pour le parti HVM. Rivo Rakotovao. Nous avons déjà donné notre avis sur le sujet. Comme tout parti politique, cependant, nous allons encore nous réunir pour le renforcer. Je dirais cette prise de position entre dans une démarche éthique et logique, puisque les critères légaux pour la tenue du scrutin ne sont pas respectés. Certains pourraient dire que nous avons peur de perdre, mais il ne s’agit pas de cela. Justement, serait-ce par peur d’une nouvelle déconvenue électorale, après la défaite à la présidentielle? S’il fallait vivre avec cet état d’esprit, nous aurions dû arrêter la politique dès janvier 2019. Si nous sommes encore là pour défendre les valeurs qui sont notre force, c’est que nous sommes prêts à affronter les urnes. Que l’on gagne ou que l’on perde, cela fait partie du parcours politique. Certes, il y a ceux qui se retirent puisqu’ils n’arrivent pas à se relever d’une défaite électorale. C’est justement, ce qu’essaie de faire le pouvoir. Tout faire pour qu’il n’y ait pas une opposition forte. Est-ce une bonne chose ? C’est un autre débat. Pour revenir à votre question, ce n’est pas le fait d’avoir peur ou non de perdre. Nous ne disons pas non plus qu’il ne faut pas organiser les élections. Il s’agit de s’en tenir au principe qu’est le respect de la loi. Quand vous parlez de non-respect de la loi, à quoi faites-vous référence? La loi organique relative au Sénat, à son article 80, dispose que le collège des grands électeurs est composé des maires et conseillers communaux ou municipaux, des chefs et des conseillers des régions et des chefs et des conseillers des provinces. Et je souligne surtout l’article 127, dans les dispositions transitoires, qui dit que c’est seulement pour la première élection sénatoriale de la quatrième République, que le collège électoral est constitué des élus au niveau des communes. L’argument selon lequel, il pourrait y avoir un parallélisme des formes ne tiendrait-il pas étant donné qu’il n’y a pas encore d’élus au niveau des régions et des provinces? Certains disent effectivement, « vous l’aviez fait, alors pourquoi pas nous? ». Lorsqu’on dirige un pays, cet argument ne tient pas. Personnellement, cependant, il n’y a pas de problème, tant que cela reste dans le cadre légal. Le scénario était ainsi, puisqu’il y avait cette disposition transitoire. Je ne dis pas que c’est l’idéal, mais au moins, la loi a été respectée. Le président de la République a pris une ordonnance modifiant le texte sur le Sénat, sans toucher à l’article 127. En 2015 déjà, une partie de l’opinion publique et politique réclamait déjà des élections provinciales et régionales avant les sénatoriales. Il y a un débat là-dessus, en effet. Mais un choix politique a été fait au motif qu’il fallait mettre en place toutes les institutions. La démarche, à l’époque, était protégée par une disposition légale. Aujourd’hui, il n’y a aucune disposition légale qui dit que les sénatoriales peuvent se tenir sans un collège électoral au complet. Ne seriez-vous pas en train de mener un combat d’arrière-garde? Il y a des gens qui nous le disent, en effet. Ainsi soit-il alors. Notre raisonnement est qu’il faut dénoncer et appeler tous les acteurs étatiques et politiques, surtout les tenants du pouvoir, à respecter les dispositions légales. Vous avez saisi la Haute cour constitutionnelle (HCC), aux fins d’inconstitutionnalité du décret de convocation des électeurs. Elle n’a pas encore donné sa réponse, alors que le processus électoral suit son cours. Pour moi, cette situation démontre le forcing qui s’opère. Nous attendons la réponse de la HCC. C’est à elle de voir comment et quand elle va répondre. Nous respectons cela. Elle est le dernier rempart pour faire respecter la loi, surtout la Constitution. C’est pour cela que nous avons effectué cette saisine. Pour dénoncer un non-respect de la loi. Aussi, nous nous attendons et espérons que la Cour tranche selon la loi. Avec la saisine de la HCC, les démarches légales sont épuisées. Qu’allez-vous faire si n’avez pas gain de cause? Il n’y a plus que l’abstention. Ne pas prendre part à des élections est lourd de sens, un symbole fort dans une démocratie. Un pays qui se dit démocratique, mais où il n’y a pas d’opposition, où il n’y a pas débat d’idée doit se remettre en question. Une démocratie est forte lorsqu’il y a une opposition solide, dans un cadre légal clair. Le boycott ne serait-il pas une irresponsabilité politique? Non, c’est une manière de démontrer une honnêteté intellectuelle et d’éthique. Nous ne pouvons pas être complices d’une illégalité que nous dénonçons. Et au contraire, c’est une audace, une prise de responsabilité politique. Ce n’est pas la première fois qu’il y a eu cela dans le pays. Il y a déjà eu un parti politique qui s’est retiré du gouvernement par principe, par éthique. C’est l’expression d’une maturité politique. Une nouvelle abstention à prendre part aux élections ne remettra-t-elle pas en cause la légitimité politique du HVM? Nous avions déjà fait part de notre intention de prendre part aux sénatoriales, depuis plusieurs mois. Il ne s’agit pas de gagner ou de perdre, mais de participer. Puisque, effectivement, une élection est la voie par laquelle un parti politique peut mesurer si ses idées et son programme séduisent ou non la population. Le bureau politique va encore se réunir pour officialiser la position du parti, mais nous ne pouvons pas cautionner un processus que nous estimons, aller à l’encontre de l’État de droit. Le HVM est membre du Groupe du Panorama. Cette entité politique a été créée à quelle fin? Elle découle des cas de non-respect de la loi par le pouvoir. Le sujet d’actualité est certes, les élections sénatoriales, mais le but est d’amener au respect de l’État de droit. Il n’a pas vocation à devenir une fusion, ou un groupement politique. Il y a, néanmoins, des sujets d’intérêts communs, d’intérêts généraux qui doivent et méritent d’être débattus, d’être dénoncés. C’est le cas, par exemple, du fait de profiter de l’état d’urgence sanitaire pour intimider, ou mater les opposants. Comme lorsque des éléments des forces de l’ordre mènent des enquêtes auprès des responsables et du personnel de l’hôtel Panorama, pour savoir qui serait à la manette des réunions qui s’y sont tenues. C’étaient pourtant, des réunions publiques, dans le respect des normes sanitaires. Les partis au pouvoir y ont même été conviés, puisque l’objectif était de débattre sur les problématiques de non-respect de la loi. Les hostilités entre le Sénat et l’Exécutif semblent découler essentiellement de l’intention de supprimer la Chambre haute. Pour nous, la suppression du Sénat est un autre débat. Pareillement, pour la réduction du nombre des sénateurs. Depuis février 2019, toutes nos réactions ont été relatives à des cas de non-respect de la loi. Supprimer la Chambre haute serait un engagement présidentiel. D’accord, mais pourquoi ses techniciens n’ont-ils pas envisagé les voies légales pour le concrétiser. C’est la même chose pour l’organisation de sénatoriales. Il n’y a rien à redire sur l’échéance de notre mandat. Lorsqu’il arrivera à terme, nous partirons. Seulement, pourquoi ne pas avoir fait en sorte que l’alternance se fasse dans le respect du cadre légal. Des sénateurs ne suivent pourtant pas votre combat actuel, pourquoi? Effectivement et nous respectons leur avis. Je pense, néanmoins, que la raison est qu’ils ne supportent pas la pression et les agissements de l’Exécutif, notamment, en matière budgétaire. Qu’entendez-vous par pression? Il y a un abus de pouvoir de la part de l’Exécutif, depuis février 2019, concernant le budget du Sénat. Je ne parlerais plus de la coupe budgétaire. Il a été réduit de moitié, soit, si comme ils disent, la réduction du budget de la Chambre haute accélérera le développement de l’Etat. Seulement, nous ne pouvons même pas utiliser la ligne de crédit que nous accorde la loi de finances initiale et rectificative. Comment cela se fait-il? Il y a zéro taux de régulation, la page du Sénat dans le Système de gestion des finances publiques est bloquée. Les canaux pour décaisser le budget sont bloqués. J’ai abordé le sujet avec le Premier ministre. Il m’a simplement répondu qu’ainsi est la politique. Mais, c’est de l’abus. Nous sommes dans une République. Ce n’est pas parce que ses membres ne partagent pas vos idées que vous avez le droit d’agir ainsi. D’autant plus qu’il s’agit d’un budget prévu dans la loi de finances, qui est une loi organique. Lorsqu’on parle du budget de votre institution, ces questions sont souvent soulevées, à quoi sert le Sénat ? Quel est son rôle? En termes de proximité, la Chambre haute est moins visible que l’Assemblée nationale, certes. Ce n’est pas à nous, non plus, de promettre des projets d’infrastructure. Notre rôle est de représenter les collectivités. D’aider à dénouer les problèmes socio-économiques au niveau local. De les faire remonter jusqu’à l’État central pour que des solutions soient trouvées. De contrôler l’exécution des politiques publiques au niveau des collectivités et de demander des comptes à l’État si nécessaire. Il y a aussi, notre rôle dans la procédure législative. Nous avons apporté plusieurs amendements pour améliorer de plusieurs projets de loi. Dans le jeu législatif pourtant, le dernier mot appartient à l’Assemblée nationale. Les navettes contribuent à rehausser le débat parlementaire. En l’état actuel des choses, nous sommes partis pour rester dans le système bicaméral. Seulement, il est à craindre que si les sénatoriales soient maintenues avec douze élus, il n’y aura plus de vrais débats parlementaires. Que le Parlement ne fasse plus que suivre la vague.
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