La culture électorale malgache, d'une élection à l'autre


Avant 1993. La culture électorale, sous la I° République, autorisait l’administration en charge des élections, à tricher en faveur du candidat, Père de l’indépendance. Dans les bureaux de vote éloignés de la capitale, les résultats des urnes sont arrivés au ministère de l’intérieur bien avant le jour du scrutin. La population accueillait la victoire du Président sans euphorie excessive. L’administration était satisfaite d’avoir accompli son devoir. Et les leaders de l’opposition jetaient un regard anxieux sur le long chemin à parcourir pour asseoir les bases d’une élection démocratique. Sous la II° République, l’élection prési­dentielle, domaine réservé au « Front National pour la Défense de la Révolution », a com­mencé à évoluer grâce à l’enseignement de l’idéologie socialiste et, surtout, grâce à l’éveil de la conscience citoyenne à travers les premières actions du FFKM et des organisations de la société civile. On a commencé à dénoncer les tricheries administratives dans l’organisation du scrutin malgré l’autocensure de la majorité de l’opinion publique. EN 1993. L’année 1993 marque une rupture dans l’histoire de l’élection prési­dentielle à Madagascar. Pour la première fois, lors de l’élection du 25 novembre 1992, aucun candidat n’a franchi le seuil des 50% : Zafy Albert avait obtenu 46,16%, Didier Ratsiraka 29,22%, Manandafy Rakotonirina 10,21%. Il fallut donc organiser un second tour. Le 10 février 1993, les deux premiers ont passé le 2° tour avec les scores suivants : 67,80% pour Zafy Albert et 32,20% pour Didier Ratsiraka. Avant le 27 mars, date de l’investiture du nouveau Président de la République, Didier Ratsiraka adressait un télégramme de félicitation à son adversaire. Cet acte de l’Amiral est resté unique à ce jour, lors des alternances du pouvoir. EN 1996. Le 5 septembre, l’empêchement du Président Zafy Albert par sa propre majorité a ouvert une élection anticipée à l’issue de laquelle Didier Ratsiraka et Zafy Albert se retrouvèrent de nouveau au 2° tour. Ce fut une compétition électorale serrée, la différence des voix entre le gagnant et le perdant n’ayant été que de 35.000 voix. Cette compétition s’est-elle déroulée dans les règles ? La question se pose quand on sait que la HCC, dans son jugement, a annulé plus de 300.000 voix dans les bureaux de vote où le PrésidentZafy Albert était généralement en tête. L’entourage du Président a voulu contester ce verdict, mais le « père de la démocratie et de la réconciliation » a calmé ses amis, évitant ainsi une crise postélectorale. EN 2002. L’élection présidentielle de la fin de l’année a été marquée par la première crise postélectorale à Madagascar, d’une violence extrême. Au nom du devoir de mémoire, je me limite à l’évoquer, de peur de rouvrir des blessures loin d’être guéries. Le conflit électoral portait sur deux candidats arrivés en tête au 1° tour : Didier Ratsiraka et Marc Ravalomanana. L’un reconnaissait qu’il était second, mais exigeait un second tour. L’autre affirmait, preuves à l’appui,qu’il avait obtenu plus de 50% de voix et était donc élu dès le 1° tour. Mais il acceptait de passer au second tour si le résultat des confrontations des procès-verbaux le confirmait. Le camp de l’Amiral refusa la confrontation. Repliée à Mantasoa, loin de la capitale, la HCC a proclamé les résultats officiels exigeant un second tour, décision violemment contestée par les pro-Ravalomanana. Il faut dire qu’en 2002, l’éducation citoyenne et la libération des informations à travers les médias privés ont réussi, d’une part, à élever la prise de conscience des électeurs sur l’enjeu fondamental de l’élection dans une République, et d’autre part, à exiger la transparence et l’impartialité des responsables du processus électoral. EN 2013. A la place de la HCC, la Commu­nauté Internationale a installé une Cour Spéciale Électorale chargée de juger les contentieux électoraux et de proclamer officiellement les résultats du scrutin. Sans doute, dans le but d’obtenir un climat électoral moins tendu, la Communauté Internationale a imposé que ni Andry Rajoelina, ni Marc Ravalomanana ne soient éligibles. Par contre, ils pouvaient présenter un candidat de substitution : Hery Rajaonari­mampianina à la place de Andry Rajoelina et Jean Louis Robinson à la place de Marc Ravalomanana. Au second tour, il y a eu 49% d’abstention. Jean Louis Robinson a obtenu 47,5% des voix. Hery Rajaonarimampianina, avec 52,5%, a été élu Président de la IV° République. Mais plus de quatre ans après cette « élection de sortie de crise », le candidat Jean Louis Robinson nous a surpris en déclarant qu’il avait gagné cette élection mais le verdict des urnes avait été tripatouillé. Il réclame aujourd’hui une confrontation des procès-verbaux. Désormais, malgré la trappe de la pauvreté, l’élection présidentielle ne peut plus se dérouler dans l’indifférence de la population. Le candidat sera jugé de plus en plus sur son programme et la qualité de son équipe que par sa générosité éphémère et ses grands spectacles gratuits. L’étiquette « candidat d’État » ne devient plus systématiquement un avantage, quand la notion de vote sanction commence de mieux en mieux à être comprise. Il n’est plus acceptable qu’aucun responsable des manipulations du verdict des urnes à chaque élection n’ait été sanctionné. Le rapport entre l’élévation de la conscience citoyenne et le retard de l’amélioration de la gestion électorale, produira de plus en plus des contestations, voire des crises profondes. EN 2018. Les dates des élections sont maintenant fixées : 7 novembre 2018 pour le 1° tour et 19 décembre 2018 le second tour. Dans l’histoire électorale malgache, pour la première fois, nous avons connu une crise préélectorale sérieuse en avril-mai, allant jusqu’à réclamer la démission du Président de la République. Se présentant comme « régulatrice des Institutions », la HCC a décidé de mettre en place un gouvernement dirigé par un Premier Ministre de consensus. Force est de reconnaître que la décision de la HCC concernant la composition du gouvernement a été appliquée à l’envers. Des observateurs rappellent que la HCC a sauvé deux fois le Président de la Répu­blique de l’empêchement : en 2015 et en avril 2018. L’impartialité de la HCC en tant que juge des contentieux électoraux est sérieu­sement remise en cause par la majorité de l’opposition. 25 ans après la seule alternance démocratique en 1993, pouvons-nous espérer que les résultats de cette élection présidentielle soient acceptés par tous ? Que Dieu protège Madagascar. par André Rasolo 
Plus récente Plus ancienne