D’horribles souvenirs pour le peuple malgache


Si rien ne va plus dans la France de la IVe Répu­blique comme dans le Monde, après la Deuxième guerre mondiale, à Madagascar la mise en place des rouages représentatifs, prévus par les décrets d’octobre et de novembre 1946, se déroule. On procède aux élections des membres des Assemblées provinciales qui, à leur tour, désignent ceux de l’Assemblée représentative. La victoire du MDRM s’affirme partout, sauf dans la province de Mahajanga. Contesté par l’Administration et le haut-commissaire, il dispose de plus des deux tiers des sièges et l’emporte sur le Padesm. Cette supériorité lui confère, le 29 janvier 1947, tous les sièges des représentants du deuxième collège à l’Assemblée de l’Union française. « L’enjeu de ces luttes est grand, les esprits s’échauffent, les passions se multiplient. Un climat dangereux s’établit partout. Des bruits alarmants, contradictoires se répandent, augmentant encore le malaise général » (Histoire de Madagascar, 1967). L’insurrection éclate dans la nuit du 29 au 30 mars, brutale, incompréhensible. Elle trouve « dans la forêt orientale, une aire favorable ». Malgré les rumeurs des jours précédents, la surprise est totale. Au cours de la nuit, les principaux centres, Moramanga, Manakara, Farafangana, Ambila, Vatomandry, sont investis par les insurgés. « Des fonctionnaires, des commerçants, malgaches et français, sont massacrés. Dans la brousse, les colons isolés succombent. ». En revanche, sur les Hautes-terres, dans le Sud et dans l’Ouest, le haut-commissaire Marcel de Coppet (mai 1946-janvier 1948) « reste maitre de la situation et s’efforce de calmer les plus excités. » Un désarroi profond naît de cette situation terrible. D’avril à juillet, le mouvement progresse, sur la falaise en direction des Hautes-terres. Il atteint son extension maxima en septembre. Déjà, dans le milieu hostile de la forêt dense où ils se cachent, la plupart des révoltés connaissent une situation matérielle difficile que la saison des pluies aggrave encore. Isolés, au milieu des populations dépourvues, ils ne peuvent plus vaincre. Mais il faut plus d’un an, jusqu’en décembre 1948, pour réoccuper militairement la côte et la falaise orientales. « Terrible comme la révolte, la répression laissa dans la forêt un horrible souvenir. » « Des actes odieux ont été commis de part et d’autre, avec des hécatombes plus impressionnantes à mettre au compte des forces françaises étant donné la puissance de feu de leur armement », écrit Jacques Tronchon dans son Essai d’interprétation historique de l’insurrection de 1947, thèse présentée en 1973 à l’Université de Paris VIII (Vincennes). Selon lui, les troupes françaises qui mènent activement leurs opérations pour regagner le terrain perdu, sont renforcées par des bataillons sénégalais et nord-africains, puis par des « éléments blindés » qui arrivent dès juillet 1947. De nombreux insurgés continuent la lutte par la guérilla, mais leur calvaire est tel que beaucoup meurent dans la forêt, sont tués ou faits prisonniers par les troupes françaises, ou bien se rendent. L’insurrection est pratiquement anéantie et la répression sévit. Elle commence par l’arrestation des militants MDRM qui connaissent des conditions de détention particulièrement atroces, dans des prisons exiguës, exposés à toutes sortes de mauvais traitements, subissant des tortures au cours des interrogatoires. « Les enquêtes, menées à la hâte et d’une manière arbitraire, tendent toutes à prouver la culpabilité du MDRM dans cette insurrection, malgré la fragilité de l’argumentation. » Selon les autorités coloniales, les insurgés ont obéi aux ordres des députés malgaches, eux mêmes arrêtés malgré l’immunité parlementaire pour cause de « flagrant délit continu ». Des membres du Parti démocratique de Madagascar, PDM, implanté surtout au sein de la bourgeoisie tananarivienne, sont accusés de complicité avec le MDRM et eux aussi jetés en prison. Certes, les insurgés commettent des atrocités contre les colons français, des membres du Padesm et des fonctionnaires de l’Admi­nistration coloniale, mais la répression est non moins horrible. Jacques Tronchon énumèrent quelques « actes de barbarie » perpétrés par les autorités : des prisonniers chargés en avion et lâchés vivants au-dessus de certains villages passés à l’insurrection ; des prisonniers exécutés sans jugement puis brûlés ; des villages incendiés et rasés ; la ville de Moramanga mise à sac et incendiée dès le 30 mars 1947… Les auteurs du livre d’Histoire de 1967 précisent : « En France, le retentissement de la révolte est considérable. »
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