Plaques rouges, caisses noires


Bonne initiative que d’avoir remis les plaques rouges pour toutes les voitures administratives. A défaut de pouvoir contrôler intégralement l’utilisation des biens de l’État, étant donné que beaucoup remettent les plaques noires le week-end, elle aura permis de déceler un patrimoine insoupçonné de l’État. Quelle collection ! L’État que l’on disait pauvre, que l’on croyait sans le sou aime bien le luxe et le paraître. On a toujours cru que les belles voitures appartiennent aux anciens pauvres propulsés et privilégiés par les républiques successives depuis 1975. En tout cas pas les misérables fonctionnaires enseignants qui pouvaient encore se payer une caisse durant la première république mais qui ne peuvent plus s’offrir un sac de riz aujourd’hui. On réalise maintenant pourquoi l’État n’a pas les moyens pour satisfaire les revendications syndicales en général et celles des enseignants en particulier. À en juger cette collection, on dirait dans un pays du Golfe. Outre les grosses caisses V8, voitures obligatoires des ministres, il y a toute une pléiade de belles bagnoles pour les responsables et les services en dessous de la hiérarchie dont le coût unitaire minimum est de 50 millions d’ariary. Dans la rue, on se croirait en plein salon de l’auto avec le défilé des pépites à plaque rouge. Quand on sait que le parc est renouvelé chaque année et à chaque changement de ministre, on peut avoir une idée de la somme engloutie dans l’immobilisation. On comprend mieux pourquoi le pays se débat dans la pauvreté avec ce gaspillage à fleur de peau, ce mépris révoltant à la priorité et à la hiérarchie. On passe sur le montant des carburants alloués à tous ces véhicules qui grèvent le budget de l’État. C’est tout à fait normal si les investissements sont mille fois inférieurs au fonctionnement. On a beau être le pays le plus pauvre au monde, on a l’administration qui utilise le plus grand nombre de voitures au monde. Les hôpitaux publics manquent d’ambulance, les prisons n’ont pas de panier à salade, les brigades et commissariats n’ont pas de véhicules de poursuite, la plupart des communes n’ont pas de sapeurs-pompiers et ceux d’Antananarivo vivent d’assistanat et de mendicité et pourtant l’acquisition de ces équipements n’a jamais figuré dans aucune loi de finance. L’achat de véhicules pour les services pénitentiaires et pour la police relève du coup des projets présidentiels comme si c’était une faveur. Tant qu’à faire le Premier ministre ferait mieux de limiter la gamme de voitures que l’administration publique peut acquérir. Ou carrément limiter le nombre de voitures qu’un département peut utiliser et fixer à quatre ans le renouvellement du parc automobile. Toute une affaire se trame dans ce secteur entre les départements ministériels et les concessionnaires de voitures. Le scandale de la liste des marchés publics pour l’année 2016 a été riche en révélations en terme de surfacturations. Au Rwanda, l’État a vendu six mille voitures de l’administration publique pour dégager une économie ayant permis d’améliorer les conditions sociales de la population. La lutte contre la pauvreté passe inévitablement par la réduction du train de vie de l’État et la priorisation des dépenses publiques. Cela s’appelle tout simplement la bonne gouvernance. Les bailleurs de fonds ne cessent d’interpeller les dirigeants sur la faiblesse du PIB consacré à l’éducation et à la santé. Mais depuis 40 ans ils ferment les yeux sur les dépenses inutiles de l’État, sur les excès et les abus de toutes sortes octroyés en faveur de certaines personnes pour garantir la stabilité. C’est le prix à payer de la démocratie.
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