Le rôle politique de la possession dans le Nord-Ouest


Dans sa communication à l’Académie Malgache en septembre 1977, Jean-François Bare examine les rôles politiques qui construisent les monarchies du Nord-Ouest, et parle de constatations paradoxales (lire précédente Note). Les monarchies sont, en effet, construites autour de deux structures d’autorité. Le premier est « l’appareil des vivants » (ny velono ou ny manoro) qui a pour tête (loha) le souverain vivant. Le second est « l’appareil des morts » (ny mihilana ou ny andagnitry) lié aux tombeaux royaux et « qui, en théorie, est à la disposition des morts royaux ». Selon l’auteur, ces derniers sont représentés par des possédés installés aux tombeaux royaux qui sont légitimés comme « vrais » possédés par l’ensemble des conseillers des deux appareils. « Quand les conseillers des vivants et des morts authentifient la présence, chez un individu, d’un souverain mort, ils se donnent ainsi à eux-mêmes un maitre qui n’est rien d’autre que l’incarnation de leur propre définition du passé historique et donc de l’ordre monarchique actuel. » Jean-François Bare qui effectue un séjour dans le Nord-Ouest, remarque alors que dans le même espace et au même moment, un observateur côtoie Andriamisara, fondateur mythique des dynasties du Nord-Ouest, et Amada, l’ampanjaka mort en 1968 ; Andriantsoly, dernier souverain du Boeny indépendant, et le gouverneur politique de la Joja dans les années 1930 ; et Andriamiverigniarivo dit aussi « Zaman’Bao ». « On est alors confronté à des sensations produites par l’entrechoquement de catégories culturelles normalement opposées. » Et c’est le cas dans le Nord-Ouest confirme Jean-François Bare, car du passé et du présent, de la vie et de la mort, de l’avant et de l’après, tout Sakalava du Nord a « une représentation précise du temps dès qu’il s’agit de vies individuelles ». Dès lors, poursuit-il, les paradoxes de la possession et de son rôle politique sont liés à des conceptions profondes du pouvoir politique et de l’histoire. « Le pouvoir monarchique sakalava se réserve cet avantage et ce danger, la permanence volontariste des morts. » Ou plutôt comme l’adage l’affirme, « les morts n’ont pas de prétentions » (« ny maty tsy raherimihavono », ou le jeu et la représentation théâtrale de la permanence des morts royaux : les puissants d’aujourd’hui deviendront les morts royaux de demain que « de nouveaux canaux (saha) feront passer dans la croyance sakalava en l’éternité du pouvoir monarchique ». Mais pour que l’appareil monarchique puisse toujours légitimer des possédés de manière cohérente, ces derniers doivent représenter des personnages, dont les biographies sont assimilables par les catégories culturelles locales. « Plus les vivants s’écarteront dans leur enracinement sociologique et culturel des modèles anciens, plus il sera difficile et angoissant d’être possédé. » Ainsi, l’omniprésence des possédés royaux et, au-delà, du rapport aux morts royaux chez les Sakalava du Nord, rappelle la différence « de nature profonde » entre les organisations hiérarchiques malgaches et les « grandes architectures bureaucratiques ». Dans un cas, la vie collective maintient son ordre par un contrat fondamental : les morts royaux sont immortels, l’histoire se donne explicitement comme un dépassement perpétuel d’elle-même. Dans l’autre, la légitimité est masquée et « son dévoilement » ne fait apparaitre que le « cauchemar climatisé » de l’absence de visées culturelles. « La hiérarchie et ses justifications politico-religieuses proposent, en outre, par le biais de la mort, une explication possible des destinées individuelles. « Un noble sakalava qui meurt, c’est un itinéraire de vie singulier qui se réincarne chez un roturier, tous deux sont ainsi porteurs éventuels du passé historique. » Et Jean-François Bare résume sa communication par « l’asymétrie simple à laquelle, à mon sens, les Sakalava du Nord attachent tant de prix, quelle que soit, par ailleurs, la désinvolture avec laquelle ils traitent certains des faits liés aux Mpanjaka ; désinvolture qui ne se manifeste jamais dans les domaines profonds liés à la possession. » Bref, les Sakalava du Nord préfèreront représenter et réincarner leur histoire dans « des individus réels, entourés et haïs, adulés et craints ».
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