Terminus


Terminus : nom commun très couramment employé en latin pour désigner la borne marquant la limite d’une propriété foncière ou d’un territoire (encyclopédie Universalis). Le dieu Terminus était donc le garde-frontière par excellence. Cette année 2020, le 23 février, jour de la fête de Terminus, c’est Jens Nygaard Knudsen, l’inventeur danois de la figurine Lego, qui est mort à l’âge de 78 ans. Les figurines Lego lancées en 1978 étaient neutres : ni sexe, ni race. Voilà le citoyen du monde idéal des «sans frontières» qui qualifient tous ceux qui n’épousent pas leur générosité cosmopolite et multiculturelle de «racistes, homophobes, antisémites» (association faite par le philosophe Michel Onfray, sur BFMTV, le 12 janvier 2020). L’Amérique ferme la porte à l’Europe. L’Inde suspend tous les visas de tourisme. Eureka : les frontières existent encore ! Les frontières existent plus que jamais. On avait fini par oublier cette «borne» de nos différences nationales dans le concert dominant des citoyens du monde réclamant un village global sans frontières. Tribune des Nations Unies, Parlement européen, rues arc-en-ciel, médias internationaux de gauche : le politiquement correct a eu tout le temps pour dénoncer la «frilosité» de ceux qui s’accrochent à une échelle simplement humaine. Le «je suis différent donc je suis» fut moqué. «Arc-bouté» au passé, «barricadé» derrière les murailles du Moyen-âge, «enfermé» dans les stéréotypes : «noyé» dans une «fausse représentation» du différent racialement, du différent religieusement, du différent socialement. Quand les nationalistes tremblent ou fulminent à l’idée qu’un million de musulmans ont été acceptés en Allemagne, les «sans frontières» préfèrent parler des 40.000 migrants morts aux frontières de l’Europe, entre 2000 et 2014. La menace de milliers de migrants, moyen-orientaux et majoritairement musulmans, que le président turc veut faire déferler sur l’Europe ravive des peurs ancestrales et ranime le bon vieux concept de frontière : en 2015, la Hongrie avait installé des barbelés sur les 175 kilomètres de sa frontière avec la Serbie pour interdire le passage au million de réfugiés venus du Proche-Orient. Depuis le 3 mars 2020, l’Autriche et la Hongrie coopèrent pour fermer la porte aux milliers de migrants chassés de Turquie. L’Autriche et la Hongrie, aujourd’hui deux États distincts, avaient un temps, du 8 février 1867 au 25 octobre 1918, incarné l’ultime avatar du Saint Empire romain germanique (962-1806). Le 27 septembre 1529, Vienne, capitale de cet empire, avait résisté au siège du sultan ottoman Soliman et sauvé la Chrétienté. Le 29 août 1526, une armée hongroise avait été anéantie par les Turcs à la bataille de Mohacs. Le roi Louis II lui-même y trouva la mort. La mémoire collective des pays «frontières» de l’espace Schengen n’a pas oublié les invasions ottomanes en Grèce ou sarrasines en Espagne. Ceux qui ont pour ancêtres les Gaulois ignorent le traumatisme national qu’ont pu être Mohacs (1526 vengée en 1687) ou Kosovo (le deuil de 1389, ravivé le 28 juin 1989 par Slobodan Milosevic). Les donneurs de leçons droits-de-l’hommistes, qui appellent à ouvrir les frontières, ne sont pas en première ligne pour vivre la «différence» au quotidien. Depuis 1945, il fallait abattre les frontières : administratives et mentales. Parce que tant de guerres, dont justement 39-45 qui venait de se terminer, avaient été menées pour étendre les frontières de soi chez autrui, on nous a fait croire qu’il fallait vider le bellicisme de son objet et, ainsi, rayer les frontières. Un atavisme tellement humain, simplement humain, a ressuscité face à la hantise du coronavirus. Les citoyens du monde qui s’étaient établis en Chine, à Wuhan, se sont soudainement rappelé qu’ils étaient d’abord Américains, Canadiens, Français, Australiens, Allemands. Les frontières qui ont toujours été dans ma tête ne sont donc pas si absurdes. Je et nous n’étions pas fous.
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