Grandidier contre l'envoi de colons pauvres


Il serait regrettable qu'on crût que nous allons faire la guerre aux Merina (vulgo Hova); c'est contre leur gouvernement actuel, qui a indignement violé le traité fait en 1885 avec la France, et qui n'a cessé d'agir avec une mauvaise foi et une duplicité révoltantes, qu'en réalité on va se faire la campagne et non point contre le peuple qui mérite au contraire tout notre intérêt et (…) que nous ne voulons point du tout asservir, mais simplement diriger par de sages conseils donnés à sa reine. » C'est ce que déclare en substance, le 8 mars 1895, Alfred Grandidier, membre de l'Institut, pendant l'installation du bureau du Comité de Madagascar dont il est le président. Par ces propos, il dément toutes les « assertions téméraires » d'hommes bien intentionnés, mais mal renseignés, concernant l'expédition française à Madagascar. L'on sait qu'il est l'une des personnalités qui, par leurs connaissances de la Grande ile pour l'avoir sillonné de long en large, a facilité celle-ci. Ces informateurs soutiennent, en effet, qu'une poignée de soldats suffirait pour conquérir l'ile; que la route vers Antananarivo par l'Est n'offre pas de difficultés sérieuses; qu'il faut exterminer les Merina ou, tout au moins, les chasser de Madagascar; que toutes les « tribus » malgaches autres que celles des Hova se soumettraient volontiers à l'autorité française et lui prêteraient une aide largement suffisante; que le pays entier, d'une fertilité incomparable, fournirait aux malheureux un champ inépuisable de richesses où, « sans argent et presque sans peine, ils récolteraient une abondante moisson ». C'est contre ces affirmations erronées qu'Alfred Grandidier s'élève pour ne pas « se repentir d'avoir entrepris la conquête de cette Grande ile ». Il n'ignore pas, cependant, que la plupart des colons et négociants gardent rancune contre les Merina pour les avoir empêchés de se livrer « fructueusement » à leurs affaires. Mais selon lui, ils n'agissent que sur ordre du Premier ministre Rainilaiarivony et de son entourage immédiat. Le président du Comité de Madagascar ne manque pas de vanter les Merina. « Intelligents et désireux de s'élever à notre niveau, ils en comprendront vite tous les avantages dès que le régime tyrannique qui les a façonnés à l'hypocrisie, au mensonge et à l'avarice, aura, par notre initiative, fait place à un gouvernement meilleur qui garantira effectivement la propriété individuelle, qui rétribuera les fonctions publiques et réprimera les concussions, qui, tout en respectant les mœurs et les coutumes, abolira toute corvée autre que celle nécessaire pour l'exécution des routes et des travaux publics... » D'après lui, une telle organisation politique ne peut qu'être appréciée des Merina. Alfred Grandidier n'hésite pas à évoquer les zones aurifères que de nombreuses sociétés viendront exploiter pour faire « que ce pays, aujourd'hui pauvre, s'enrichira et que sa richesse facilitera et hâtera l'œuvre de civilisation, qui a été si bien commencée par les missionnaires et que nous pourrons mener à bonne fin sans avoir à faire appel aux finances de la France ». Toutefois, il met en garde le gouvernement français contre l'envoi « de vagabonds et de mendiants » pour coloniser; ou contre l'exode de familles misérables « plus riches d'illusions que d'argent et de science, qui ne pourraient que végéter ou même périr de maladie et de besoins ». Il insiste enfin sur le fait que l'exploitation des ressources minières et agricoles de Madagascar ne peut se faire qu'avec des personnes possédant les capitaux indispensables, outillées « matériellement et scientifiquement » pour effectuer les études préparatoires nécessaires à toute entreprise coloniale en pays neuf, et pouvant financièrement attendre le moment où la semence confiée à cette terre encore inconnue, produira la moisson prévue.
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