Une affaire de doigt


Le ciel reste obstinément sombre. Pour les pauvres êtres humains que nous sommes, souillés par une tare universelle nombriliste, cette affirmation n'évoque pour les Malgaches que les marques sombres, irréductibles du mauvais temps, qui nous tenaillent au quotidien depuis bientôt un mois. Mais le mauvais temps invincible, dont il est question dans la phrase d’introduction, qui met en branle les médias du monde entier s'est abattu sur le Royaume-Uni, l’archipel de la plus people des familles royales. Alors que le cyclone Brexit semble obstinément résister, un ouragan a balayé les britanniques depuis leur centre: la famille royale. Un cataclysme nommé Megxit (mot-valise résultat de l'addition Meghan (Markle) + Exit), met en émoi tout un peuple et l’engouement est d’une contagion supérieure à celle du coronavirus: aucun média du monde entier n’a été épargné. La tempête planétaire s’est donc formée en Grande-Bretagne quand Le prince Harry et son épouse Meghan Markle, Duc et Duchesse de Sussex, annoncent vouloir prendre leur distance avec la couronne. L’intempérie est britannique mais c’est toute la planète Terre qui est bouleversée. Quand le feu brûlant du féminisme et de l’attachement à l’indépendance, à l’autonomie de Meghan Markle pénètre au cœur de la poudrière, nourrie et carburée par l’étiquette, de la maison des Windsor (une autre addition minée), le rayon de l’explosion ne peut être que d’une dimension incommensurable. On peut alors comprendre la portée exponentielle de la déflagration mondiale qui a suivi et qui fait des ravages sur les réseaux sociaux à travers le hashtag #megxit. L’ampleur démesurée de l’explosion est éclatante, elle marque les esprits. On ne peut, cependant, pas ignorer un petit côté déconcertant. Le statut d’Harry, qui aspire à se débarrasser des habits d’altesse royale, est cent fois inférieur à l’envergure de son arrière-grand-oncle Edward VIII, le roi dont l’abdication, motivée par son amour pour Wallis Simpson, demeure l’un des plus éprouvants traumatismes vécus par le Royaume. Comme pour Edward VIII, une américaine est à l’origine du gouffre qui crée la distance entre Harry et la famille royale; comme Wallis Simpson, Meghan Markle a déjà une certaine expérience du divorce. Mais là s’arrête le parallèle : la probabilité qu’Harry, sixième dans l’ordre de succession au trône, devienne un jour roi (comme Edward VIII), avoisine le 0%. Qu’un membre de la famille royale, habitué et condamné à s’effacer derrière l’ombre, destinée à la grandeur, de son frère William, Duc de Cambridge, puisse autant mettre la toile en furie, déposer sa marque sur les pluies qui y tombent, nous fait revenir aux pluies diluviennes qui ont submergé les premières semaines de l’année à Madagascar. Les décisions d’un couple princier écrasent et anéantissent les morts, les sinistrés, et les villes ravagées par la pluie : les grands absents du paysage médiatique mondial. Selon le philosophe David Hume, « Il n’est pas contraire à la raison de préférer la destruction du monde entier à l’égratignure de mon doigt. » On connaît donc plus ou moins ce qui constitue le doigt de la raison médiatique mondiale.
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