La capitale envahie par la musique occidentale


LA Troisième période de l’évolution musicale en Imerina, va de la fin de la monarchie à l’indépendance. Elle commence ainsi à l’époque de l’occupation française. L’organiste Marie-Robert Rason, maitre de chapelle de la cathédrale catholique d’Antanana­rivo dans les années 50,  évoque trois éléments qui sont inséparables de la musique, les voix, les instruments et les danses. Concernant le premier élément, rien d’autre n’est à signaler sauf que l’achèvement de l’évolution porte vraiment atteinte à la musique purement malgache. Cependant, en dépit des progrès réalisés, « le sang malgache bouillonne et les larmes montent aux yeux » dès que le Malgache entend quelques airs anciens, bien conservés et chantés dans les grandes circonstances. Mais n’étant pas légion, ils deviennent de véritables objets de curiosité. « La nature semble avoir été avare envers les Malgaches dans la répartition des voix. D’une façon générale, leur timbre est plutôt commun. Au lieu de ces basses sonores qui font vibrer les cœurs, vous n’avez que des barytons maigres et mesquins. Et au lieu  de ces ténors qui montent jusqu’au la, estimez-vous heureux de trouver des voix intermédiaires, entre baryton léger et second ténor, mais ternes et flasques, qui grimpent difficilement jusqu’au mi ou au fa tout au plus… En résumé, les véritables solistes n’existent pour ainsi dire pas chez les Malgaches. » L’organiste ajoute que les Malgaches ignorent aussi les différentes ressources de nuances qu’offrent les voix exercées. « Ils ne chantent que de gorge, de bouche et de nez. Les voix de poitrine, de tête et de fausset ne sont guère connues. » Selon lui, les femmes et les enfants se figurent chanter à merveille en serrant les dents et en criant de la gorge et du nez : l’effet est désastreux. Néanmoins, avec une formation artistique dont ils sont capables, ces inconvénients sont remédiés. Dans une précédente Note, il est question des instruments utilisés par les Malgaches (sodina, conque marine, lokanga voatavo, valiha, lamako, hozolahy, langoraony, ampongabe…). Ce sont des instruments « pauvres », aussi adoptent-ils vite ceux des Européens. Ainsi les instruments à vent et à cordes, dont certains sont connus sous Radama II, se répandent grâce au Premier ministre Rainilaiarivony et, depuis longtemps, les cornets à piston, les clarinettes au timbre éclatant ont la faveur des Malgaches. L’organisation des fanfares militaires et celle de la Musique du gouvernement général à Antanana­rivo procurent d’agréables concerts, la dernière obtenant du succès auprès du public européen, lors de l’exposition de Paris en 1900. À Antananarivo, une société de musiciens amateurs, la Société philharmonique qui compte des membres européens et malgaches, donne des représentations intéressantes. « Inutile de dire que les airs de danses européennes et américaines sont accueillis avec empressement par la jeunesse. » Les auteurs favoris des instrumentistes malgaches sont les Hawaïens par «leurs mélodies tierces et sixtes balançantes et nonchalantes, tristes et nostalgiques», les Italiens par le charme captivant de leurs sérénades d’amour, les Espagnols surtout par leurs airs tantôt « langoureusement colorés » tantôt vivement syncopés. « Il semble que l’âme musicale de ces races vienne par-delà les océans frapper l’inspiration malgache. » Les Malgaches ont beaucoup de facilité et de disposition, mais il manque à la plupart d’entre eux un esprit de suite dans le travail qui fait les véritables artistes et plutôt que de persévérer, ils se contentent d’un à peu-près qui, pour eux, serait la perfection. Toutefois, une élite est parvenue, grâce à une volonté soutenue, à un degré musical supérieur. La Grande ile produit quelques artistes qui contiennent des succès en France. Le plus renommé dans les années 50 est Gilbert Raony-Lalao, qui obtient le prix de flute au Conser­vatoire de Paris. C’est surtout dans la danse que se découvre le plus de changement. Les Malgaches abandonnent vite leurs danses nationales. Surtout l’élite de la population qui, en même temps qu’elle adopte les mœurs et coutumes européennes, s’engoue des danses modernes. Seule la masse populaire conserve le culte des Mpilalao. En concluant, Marie-Robert Rason se pose la question de savoir pourquoi les compositeurs malgaches, au lieu de se rapprocher de la musique européenne de valeur moyenne, l’élite pratiquant les classiques, ne chercheraient pas à puiser plus souvent les sujets de leurs inspirations dans les mélodies anciennes qu’ils négligent. Texte : Pela Ravalitera - Photo : Archives personnelles
Plus récente Plus ancienne