Apologie de l’haptophobie


Bien avant les ravages de l’incen­die planétaire qui a brûlé nos effusions habituelles comme les baisers, les câlins, les poignées de main, … en leur transmettant son incan­descence qui peut être fatale, des précur­seurs se sont déjà condamnés à un auto-ostracisme en fuyant les contacts physi­ques. Ces haptophobes (du grec hapto= toucher et phobos=peur) étaient alors perçus à travers des perceptions, nourries par les quolibets, qui les mettaient sur le poteau des condamnés à recevoir les balles des moqueries et des commérages. Mais depuis plus d’un an, ils sont devenus les modèles, les héros difficiles à imiter. Nous avons tant à apprendre des haptophobes. Ces marginaux qui ont une aversion morbide pour les marchés, les spectacles, les fêtes, … Tous ces lieux et événements aujourd’hui prohibés et proscrits par le verdict du tribunal sanitaire. Le confinement qui nous coupe du monde extérieur et des indispensables interactions sociales, même pour seule­- ment deux jours, est un paradis pour les haptophobes et l’enfer pour les autres. Or lors de la grande peste noire qui a exterminé la moitié de la population européenne au XIVe siècle, le poète Guillaume Machaut a sauvé sa vie en se claquemurant jusqu’à la fin de l’épidémie. Si cette crise sanitaire perdure, c’est, en partie, parce que, pour les animaux politiques que nous sommes, les leçons des haptophobes sont plus difficiles à assimiler que la réduction d’endomorphis­me en mathématiques. C’est le chapitre le plus exigeant du manuel de survie dont le contenu est pourtant le message le plus prêché de ces treize derniers mois. Les sermons rencontrent la barrière inexpugnable dressée par les démons de la fête et des sentiments qui nous précipitent inexorablement dans le piège du toucher. Nos mains sont toujours attirées par nos semblables et les objets. Car une autre leçon nous est donnée par les haptophobes qui ne sont pas seulement terrorisés par les contacts physiques mais aussi par les objets touchés par la multitude: les poignées de porte, les ustensiles de cuisine, les fournitures de bureau, les téléphones, … dont l’utilisation doit être précédée de la phase obligatoire de purification. L’actrice Cameron Diaz, qui souffre de ce TOC (Trouble Obsessionnel Compulsif), a un jour raconté que les désinfections successives ont eu raison de la peinture des poignées des portes de sa maison de Los Angeles. Dans l’album L’Affaire Tournesol (Hergé, 1956), quand Tintin et le capitaine Haddock reviennent de leur aventure de Bordurie, ils retrouvent le château de Moulinsart squatté par Séraphin Lampion et les dix membres (plus un chat) de sa « petite famille », tous entassés dans le salon. La peur de la scarlatine, une maladie contagieuse qui aurait atteint Haddock, les fit déguerpir. La frayeur peut être efficace mis elle n’a pas encore réussi à nous rendre tous haptophobes.
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