Ivre ensemble


Un véritable couvre-feu qui ne dit pas son nom. Déjà sérieusement compromise par une insécurité irrépressible, la vie nocturne est devenue pratiquement impossible avec la fermeture obligatoire des débits de boissons et des salles de karaoke à partir de 21 heures. Le préfet de police estime que les bars et les salles de karaoke sont les centres de formation des bandits. Voilà encore une décision prise sans discernement, sans aucune mesure d’accompagnement. A-t-on au moins des statistiques fiables qui indiquent que les bars et les karaoke sont les facteurs principaux du banditisme et de la criminalité. Pour le moment, la plupart des bandits tirent leur origine chez les forces armées, militaires, gendarmes et policiers. Par extension, il faut songer à fermer également les cercles mess militaires, du moins interdire la vente de boissons alcoolisées et les séances de karaoke. C’est l’essence même des bars et des activités nocturnes qu’on anéantit. Pour faire simple, il faut interdire l’ouverture d’un bar, la production et la vente d’alcool. Il est aberrant de donner une licence à un bar, de laisser une entreprise produire du rhum et d’en interdire l’ouverture et la consommation par la suite. On se plaît à tout interdire faute d’autres moyens pour juguler le mal, on prend des mesures radicales pour se donner bonne conscience et pour montrer qu’on fait bien les choses. On va trop vite en besogne. Le TGV semble confondre vitesse et précipitation. Les ministres prennent a qui mieux mieux des mesures intempestives pourvu qu’elles soient populaires. L’objectif est d’être bien vu pendant les six premiers mois pour passer avec succès l’évaluation du Président. On arrête tout le monde du moment qu’il a été inféodé à l’ancien régime. On l’attend au tournant. On interdit la coupe, le transport et l’exploitation des bois précieux et en même temps on suspend les contrôles routiers de la police, sous prétexte d’enrayer la corruption des agents véreux de la police. Jusqu’à preuve du contraire, l’insécurité est la sœur jumelle de la pauvreté, la corruption est la sœur siamoise de la pauvreté. Les mesures radicales et irréfléchies, la répression policière ne pourront rien améliorer si à cause de la pauvreté, neuf naissances sur dix sont vouées au banditisme. La fermeture des ateliers bois, faute de matière première, la fermeture des bars et karaoke, vont priver les transporteurs, les menuisiers, les vendeurs de bois, les fabricants de meubles, les barmen, les serveuses de leur revenu principal. Ce sont également des bandits en herbe. On n’imagine peut-être pas la proportion que peuvent prendre de telles mesures quant à la suppression d’emplois même temporaire. On aimerait bien voir si l’État ose interdire la production et le vente d’alcool dont les taxes constituent une sacrée manne pour les recettes fiscales. Pourquoi pas, tant qu’à faire ? Les bars et les karaoke doivent désormais songer à adopter de nouvelles heures d’ouverture. Leurs clients doivent également adapter leurs habitudes ainsi que leur métabolisme par rapport à ces nouvelles mesures. Il faut dorénavant revoir les cartes et les menus et proposer du rhum arrangé, du baba au rhum, de la banane flambée, au petit déjeuner. Eh oui, il faut trouver un fonctionnement de consensus pour préserver le sacro-saint ivre ensemble. La cohabitation entre le mal et soi-disant bien en quelque sorte.
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