Monde - Quand la Covid-19 s’en prend à l’Italie


S’il est un pays d’Europe qui a payé un lourd tribut à la Covid-19 lors de sa première offensive, c’est sûrement l’Italie. Et dans cette Italie, c’est sûrement sa région nord. Et dans ce Nord, c’est sûrement une ville devenue le symbole des ravages causés par la pandémie, Bergame. Une ville dont la vie est rythmée par la passion du foot et les résultats, quels qu’ils soient, de son équipe-fétiche, l’Atalanta. Une ville qui ne s’attendait pas à ce que l’enfer venu d’on ne sait où- on parle de la Chine et pourtant c’est si loin la Chine- s’invite dans son quotidien, avec le hurlement des sirènes d’ambulance dans leur incessant ballet… Tom Andriamanoro débute ainsi le premier article de sa rubrique hebdomadaire. 19 février : L’Atalant joue au stade San Siro de Milan contre Valence. « Le maillot toujours mouillé », telle est la devise du club, adopté par tous les habitants comme principe de vie. Travailler dur et toujours, non pas parce qu’on est payé pour, mais parce qu’aimer son travail est ce qui se rapproche le plus du bonheur sur terre. Ce soir, Atalanta a culbuté Valence par 4 buts à 1. Le passage en quart de finale de la Ligue des Champions est presque acquis. 22 février : Le premier mort. Les matches sont désormais interdits dans le Nord, beaucoup enragent. « Ils ferment les stades mais laissent les centres commerciaux ouverts ! » Personne ne soupçonne encore l’ampleur de l’épidémie. « Bon sang, ils exagèrent quand même ! » 5 mars  : La situation empire dans la région. Dans les petites villes au nord de Bergame, les gens tombent comme des mouches. Covid ou pas Covid, le football reste une préoccupation majeure, et la question que se pose tout Bergame concerne l’Atalanta. La saison la plus exaltante du club risque de tomber à l’eau. Sur le site Atalanta.com la polémique fait rage. L’idée que l’on est en face d’une menace inédite fait son chemin. Les jours qui suivent, la province de Bergame affiche les pires statistiques de toute l’Italie pour le nombre de contaminations et de morts. Le 9 mars, le confinement est décrété dans tout le pays. 10 mars : C’est le jour du match retour contre Valence. Une partie qui préfigure des scènes qui deviendront familières, avec les tribunes vides et les bruits des bancs de touche amplifiés. C’est pourtant un des plus beaux matches de l’Atalanta. Valence est bousculée dès les premières minutes. À la fin de la rencontre, c’est tout bon pour les quarts de finale, mais à Bergame plus personne n’a le cœur à la fête. Les autorités interdisent tous les rassemblements, tout le monde a enfin compris. 17 mars  : Désormais, plus personne ne parle de foot, l’épidémie fait rage. On mène une vie de schizophrène. Le meilleur moyen d’aider, c’est de rester chez soi. Téléphoner à la famille et aux amis. Une personne a présenté les symptômes du Covid pendant quatre jours, mais n’a été « ausculté » que par téléphone. Un cas, comme beaucoup d’autres, qui ne figurera pas dans les statistiques.  Deux autres sont hospitalisés, mais s’en tirent. En lisant la rubrique nécrologique dans la presse, des gens reconnaissent des noms ou des visages. L’Atalanta met aux enchères un maillot emblématique. Le produit de la vente ira à l’hôpital. Certains se disent encore que « l’après » n’est pas loin, sauf que le lendemain on découvre dans le journal les photos des camions militaires évacuant des cercueils. Bergame sombre pour de bon dans la douleur. 25 mars : Un hôpital provisoire est installé au Palais des Congrès. Un appel est lancé aux supporters de Bergame pour réunir de la main-d’œuvre. Les besoins sont de quatre vingt personnes, il s’en présente deux cents. Le vieux cliché sur l’ardeur au travail des habitants se vérifie, et l’affaire est rondement menée. C’est pendant cette période loin du stade que, paradoxalement, se resserrent les liens entre la ville et l’équipe. Et pourtant, on ne compte qu’un seul véritable originaire de Bergame parmi les titulaires de l’Atalanta, et deux Italiens. Tous les autres sont des étrangers venus des quatre coins du monde. Les Bergamasques, comme on les appelle, jugent l’arbre à ses fruits, et peu importe les provenances et les couleurs de peau. Mai : Le confinement est levé le 5 mai, le pire est désormais derrière. On dénombre plus de six mille morts à Bergame. « Mola mia ! », tiens bon ! Tout le monde se remet en selle, même le foot. On craint que cette pause forcée n’ait coupé les jambes de l’équipe. Sera-t-elle capable de défendre sa quatrième place ? Et la Coupe de la Ligue ? Le tirage au sort met Bergame face au PSG où Neymar pèse à lui seul plus lourd sur le marché que toute l’équipe d’en face. 21-28 juin : C’est la reprise du championnat. Voir le stade vide est impressionnant, on aurait presque peur de violer le silence. L’Atalanta est restée l’extraordinaire machine à produire du jeu et à marquer des buts. Les supporters se mettent à rêver, non plus du championnat, mais du titre de champion, le scudetto. Le même jour, on rend hommage aux morts au cimetière de Bergame en présence du président de la République. Les deux évènements semblent aussi incongrus l’un que l’autre. 23 juillet : C’est le choc contre la Juventus avec le scudetto à la clé. Tout le monde est devant sa télé, et la ville est aussi vide que pendant le confinement. La Juve gagne grâce à deux penalties, mais toute l’Italie admire Bergame. 12 août : Le dénouement. Bergame termine troisième en jouant ses derniers matches avec la main sur le frein. Une sorte d’Atalantamania se répand un peu partout. On essaie de comprendre comment cette équipe a su mener de front la Covid et le foot. Arrive le jour où l’histoire pourrait tourner à la légende : le match contre le PSG. Bergame mène au score pendant quatre vingt-dix minutes, sur leur banc, les Français se tiennent la tête à deux mains. Et puis…et puis c’est l’égalisation parisienne dans les arrêts de jeu. Rien à reprocher aux joueurs qui ont fait trembler ces frimeurs de Parisiens milliardaires pendant tout le match. La fête est finie, on rentre à la maison, le maillot mouillé.
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