De la poudre aux yeux


Les années passent mais un constat s’impose : sous le soleil rien ne change. A environ 365 jours d’intervalle, le même débat ressurgit : gadgets chinois lumineux ou lampion « malgache ». Les guillemets ne sont pas incongrus car ce que beaucoup de partisans du deuxième antagoniste ignorent c’est qu’ils défendent une autre invention chinoise : une bonne fois pour toute, les lampions en papier ont vu le jour en Chine et n’ont en commun avec le véritable « arendrina » de nos ancêtres que le côté pyrique. Mais parlons plutôt d’une autre invention chinoise qui chaque année est une invitée incontournable de ce rendez-vous annuel : la poudre. Une trouvaille d’un alchimiste chinois, inventée pour divertir, pour faire des feux d’artifices qui, certainement, seront une fois de plus l’apothéose du grand spectacle d’aujourd’hui. L’un des intérêts du spectacle est de nous distraire, de nous extirper pour un temps de la réalité : il possède de ce fait une vertu (ou un vice ?) apaisante. Et on nous jettera, une fois de plus, cette poudre aux yeux, son principal atout. Parmi nous les spectateurs, qui avons vraiment cette passion qui fait vibrer le cœur à l’évocation de l’indépendance recouvrée ? Qui consacrent vraiment ces heures de réjouissance à la commé­moration du 26 juin 1960 ? Cette journée sera surtout un exutoire, une évasion momentanée de la prison invisible mais pourtant oppressante bâtie depuis 58 ans par un système qui périclite en permanence. Et dès le lendemain, les effets de la poudre s’estom­pe­ront et nos yeux, purgés de l’éblouissement et de l’effet chimérique qui vont avec, seront à nouveau confrontés à la dure réalité : la ville prendra comme tous les ans des airs de champ de bataille. Inélucta­blement la réalité reprendra ses droits. La poudre a été inventée pour divertir. Depuis, elle a été améliorée par un chimiste français ; depuis un détournement d’usage est passé. Elle forme une équipe explosive avec le canon (d’où le nom composé sous lequel on la connait mieux) ou avec d’autres armes à feu moins grandes aujourd’hui présentes dans les différents faits divers qui donnent les couleurs sombres de cette réalité : leurs détonations sèment la terreur sur nos routes nationales et parfois même en plein jour en plein centre-ville. Des dégâts que l’usage ludique de la poudre ne parviendra pas à effacer : les feux d’artifices n’ébranlent pas la réalité. La réalité, c’est l’abandon des valeurs, le manque de repère et l’égarement qui nous laissent désemparés. Toute tentative d’ancrage tuée dans l’œuf. La preuve : on est, après seulement 58 ans, mariés à notre quatrième constitution, la quatrième à qui on a « oui ». Quand on pense que certains n’ont connu, en plus de deux cents ans qu’une seule constitution. 58 ans d’indépendance, 60 ans de régime républicain et la formule miracle tarde à être découverte. Lendemain de fête ou pas, l’anarchie, la saleté (qui sera même pire), l’insécurité, l’indiscipline générale,… seront toujours là. Si bien qu’on se demande s’il ne serait pas mieux de favoriser l’émergence d’un monde inspiré du roman 1984 (G. Orwell, 1949) et vivre sous le regard incontournable de Big Brother qui, avec son ubiquité et la crainte qu’il inspire, pourra enrayer la prolifération de ces actes nuisibles. Mais cela ne nous guérira pas du plus grand mal qui est à la source de ces pulsions destructrices : l’égarement culturel. On a perdu nos valeurs. Et quoi qu’on dise, qu’importe la quantité de poudre qu’on jettera dans nos yeux, nos maux matérialisés, manifestés dans des comportements nocifs, dans nos actes qui font tomber la lame de la guillotine sur les valeurs nous poussant encore plus dans l’égarement, ne seront pas endigués. On sera toujours comme les prisonniers du labyrinthe conçu par l’architecte Dédale dans la mythologie grecque. Notre condition est juste effacée de notre conscience, au moment où le spectacle atteint son climax, par l’éclat de la poudre qui accomplit son devoir de diversion. Dans une histoire relative à ce labyrinthe, le héros Thésée, après avoir tué le minotaure, a pu en sortir grâce au fil donné par la princesse Ariane : le fil d’Ariane. Nous avons perdu ou coupé notre fil d’Ariane le jour où on s’est émancipés des valeurs enseignées dans les cours d’éducation civique. Quand songerons-nous à partir à la recherche du fil perdu ? par Fenitra Ratefiarivony  
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