Bemiray - « Pour que la mer ne soit plus la limite de notre rizière »


C’était en 1998. Le pasteur Richard Andriamanjato m’avait accordé un entretien à Imarivolanitra, sur les hauteurs d’Antananarivo, dans cette belle résidence aux larges baies vitrées. De quoi allions-nous parler, sinon de la lutte pour l’indépendance, sur laquelle il a bâti toute sa carrière politique   Nous ne nous sommes quittés que lorsque le soleil couchant a commencé à teinter de rouge les confins du Betsimitatatra. Extraits. Indépendance - L’Histoire lue par Richard Andriamanjato  Tom Andriamanoro : Pouvez-vous nous parler de la spécificité de la colonisation française  ? Richard Andriamanjato : Il y avait effectivement plusieurs styles  de colonisation, selon la culture, le rayonnement, et les intérêts des différents pays colonisateurs en question. Dès 1946, quand les Malgaches ont voté pour les députés Ravoahangy, Rabemananjara et surtout Raseta, ils avaient cru bien naïvement qu’après avoir combattu ensemble contre le nazisme, la France qui nous avait éduqués à travers sa civilisation, à travers la Déclaration des Droits de l’Homme, allait comprendre les aspirations de ses colonies. Nous voyons dans le style français une volonté d’assimilation qui a fait que certains territoires sont devenus des départements, alors que d’autres ont gardé la nostalgie d’un glorieux passé. Le domaine culturel y était plus poussé que dans la colonisation belge, ou portugaise par exemple. Autre aspect, le type d’économie  appliqué à Madagascar ne nous permettait pas d’aboutir à un mode d’industrialisation ou d’exploitation de nos richesses qui aurait été plus favorable lors de l’accession à l’indépendance. Ce n’était pas tout à fait le cas dans certaines colonies anglaises, où il y avait plus d’attention accordée au développement quand bien même il était « séparé », au bénéfice des blancs. Le nouveau pouvoir en a hérité, une fois l’indépendance acquise. [caption id="attachment_2108" align="aligncenter" width="273"]Le pasteur Ravelojaona   a été un pur nationaliste. Le pasteur Ravelojaona
a été un pur nationaliste.[/caption] Vous débarquez à Madagascar dans les années 50. Étiez-vous l’héritier du pasteur Ravelojaona, ou un jeune cadre communiste ? Je rappellerai d’abord qu’à Paris, les intellectuels et futures élites politiques africaines s’étaient tous plus ou moins connus sur les bancs des universités. Ils avaient lancé « Présence Africaine », un mouvement où l’on retrouvait des noms comme Senghor ou Aimé Césaire, et essayaient de mettre à profit cette structure pour faire connaître la culture et les valeurs africaines. Pour revenir à votre question, j’étais simplement moi-même, c’est-à-dire un homme qui se cherche, qui veut s’impliquer dans le devenir de son pays, et incarner des tendances profondes. Les deux choses que vous citez se rejoignent en fait, puisque Ravelojaona était un pur nationaliste qui avait dans ses perspectives la remise en valeur de la Nation malgache en tant que telle. Parmi les étudiants des colonies, beaucoup étaient séduits par la théorie marxiste-léniniste, ne serait-ce que du fait que, dans les deux premiers décrets qu’il a pris, Lénine condamnait explicitement la colonisation, et prônait la libération de tous les pays. [caption id="attachment_2109" align="aligncenter" width="300"]Le colonisateur n’a jamais pardonné  au président Sékou Touré de la Guinée  ses relations avec les pays de l’Est. Le colonisateur n’a jamais pardonné
au président Sékou Touré de la Guinée
ses relations avec les pays de l’Est.[/caption] Parlez-nous de Sékou Touré, la « brebis galeuse » par excellence de l’après 58. Pourquoi a-t-il mené la Guinée vers ce qui ressemble fort à une autodestruction?  Le colonisateur n’a jamais pardonné à Sékou Touré ses relations avec les pays de l’Est. Mais il y était bien obligé, à une époque où il y avait tout un phénomène de rejet à l’Ouest, à l’encontre de ceux qui voulaient devenir indépendants tout de suite. Avec la Guerre Froide, il n’y avait d’ailleurs à choisir qu’entre l’Est et l’Ouest. Dans ce contexte, la Guinée a choisi son camp pour essayer de progresser de façon indépendante. Son exemple a constitué un épouvantail, et il fallait le bloquer pour qu’il ne fasse pas tache d’huile. Sékou Touré s’est ainsi retrouvé coincé par un ensemble de facteurs qui voulaient encercler la Guinée, étouffer son économie, l’empêcher de jouer un rôle en Afrique. N’oubliez pas que, lors de son passage à Madagascar, De Gaulle avait lancé cette menace à peine voilée : « Si vous votez NON je vous donne l’indépendance tout de suite, mais n’attendez plus rien de la France. ». Sékou a osé, il a payé au prix fort son outrecuidance. Revenons à votre retour à Madagascar. Comment se présentait le paysage politique du pays Nous étions une quinzaine à avoir terminé nos études en France et à décider d’entrer dans le jeu politique à Madagascar. C’était en 1957, et des partis nationalistes s’étaient déjà formés : l’Union du peuple malgache (UPM), le Front national, le Comité d’action politique et social pour l’indépendance de Madagascar (CAPSIM) d’Alexis Bezaka, d’autres partis dont un se disait marxiste. Il y avait un élan vers une véritable renaissance, car on avait compris qu’on ne gagnerait rien à rester dispersés. C’est l’Union nationale des intellectuels et universitaires de Madagascar (UNIUM) qui eut l’initiative de réunir toutes les potentialités, d’où le célèbre Congrès de Tamatave de mai 58. Après le Congrès, une délégation permanente composée de deux représentants par parti a été mise en place, et j’ai été choisi pour la présider. Le référendum de 1958 a institué à Madagascar, d’une part, la culture du « oui » et, d’autre part, un certain antagonisme entre le vote de la capitale et celui des provinces. Comment l’expliquez-vous ? Ce n’est plus moi qui devrais répondre à cette question, parce que je suis passé par toutes les phases, celles où j’étais avec le régime, d’autres où j’étais contre, d’autres encore où j’ai essayé de voir quelle serait la voie la plus souhaitable pour avancer. Il y a aussi eu des moments où je sentais qu’il n’y avait plus rien à espérer de telle ou telle promesse, bref, je suis passé par toutes sortes de situations. Concernant Antananarivo, je comprends son comportement qu’elle partage d’ailleurs avec toutes les capitales du monde. Parce qu’elles sont très proches du système, les capitales connaissent mieux que les autres ses dysfonctionnements et ses dérives. La Communauté française, cette alchimie du néocolonialisme, n’aura finalement vécu que deux ans, de 1958 à 1960.  D’où est venue cette subite accélération de l’Histoire ?  Nous avons  déclaré après le référendum que ce n’est pas l’indépendance que nous avons obtenue. J’ai même prédit que dans deux ans, nous allons faire aboutir le mouvement. Ce n’était pas un coup de tête, mais le résultat d’une analyse de la situation internationale. De Gaulle, quand il a proposé ce référendum, savait bien qu’il était impossible de maintenir longtemps les anciennes colonies dans ce système bâtard. Du reste, il était tenu par les positions qu’il a lui-même défendues pendant qu’il luttait pour la libération de la France, il y avait aussi le fameux discours de Brazzaville, etc. Mais il faut reconnaitre que De Gaulle était un grand homme de parole, un militaire pour qui l’honneur est quelque chose, et l’honnêteté encore plus. Nous, à l’époque, quand nous tenions nos discours d’opposants, c’était pour renforcer l’idée que la situation créée par le référendum de 58 n’était pas du tout ce que nous voulions et que, de toutes façons, les choses changeront rapidement. Cela n’a pas manqué  et, en 1960, Madagascar était parmi les premiers, sinon le premier pays engagé dans le système de la Communauté à obtenir son indépendance, à l’issue des discussions entamées avec la France. Un mot, si vous le permettez, sur vos relations avec Philibert Tsiranana, le « Père » de l’indépendance ? Mes relations avec le président Philibert Tsiranana étaient, sinon excellentes, du moins bonnes. Nous nous respections et il faut du reste savoir que, bien que représentant de l’opposition, il ne m’est jamais arrivé de dire du mal du contexte malgache à l’extérieur. Les affaires de politique strictement intérieure, c’est à nous de les régler sur place. La preuve de ce respect mutuel, c’était lorsque, en tant que maire de la capitale, j’organisais des réceptions à l’occasion de grands évènements comme la Fête de l’Indépendance. Autant qu’il le pouvait, il y venait toujours, et le clou de ces rencontres était immanquablement l’échange de discours entre le Président et moi-même. Quand je parlais de politique à l’époque, je parlais surtout de programme, je n’attaquais jamais des personnes. Jusqu’à aujourd’hui, mes principes sont restés les mêmes. [caption id="attachment_2110" align="aligncenter" width="290"]Le public turc dans une de leurs manifestations pour la liberté de la presse. Le public turc dans une de leurs manifestations pour la liberté de la presse.[/caption] Liberté de la presse - Bienvenue au club ! Un dessin représentant Jésus marchant sur l’eau, à côté de lui un enfant qui se noie, et en guise de légende, cette phrase assassine : « Les chrétiens marchent sur les eaux, les enfants musulmans coulent ». C’est par des  inepties, bêtes, méchantes, et gratuites de ce genre, que Charlie Hebdo a vu son capital-sympathie s’effriter, et le lectorat « être de moins en moins Charlie ». Une enquête menée par l’institut américain Pew Research dans 38 pays, a montré que les citoyens sont toujours  en faveur de la liberté d’expression, d’une presse libre, et de la liberté sur Internet, mais sans mélanger le bon grain et l’ivraie, les torchons et les serviettes. Car comme disait Salman Rushdie, « l’art de la satire a toujours été une force pour la liberté  et contre la tyrannie, la malhonnêteté, et la stupidité ». Des pays excellent dans l’art de cultiver les apparences, tout en muselant précautionneusement leur presse dans les chapitres sensibles. En Russie, par exemple, la caricature politique n’existe pas car, en grossissant les traits, elle permet de révéler l’hypocrisie de l’image publique et le fossé entre le discours et les actes. Mieux, les dérapages de Charlie Hebdo y sont exploités pour justifier la rigueur russe en la matière et le laisser-aller décadent de l’Occident. En Roumanie, sous prétexte de combattre l’extrémisme, a été instauré un délit d’opinion qui ne dit pas son nom. Pour  parvenir à l’adoption du texte de loi, les commissions parlementaires  ont évité les véritables débats. Les mallettes sont-elles passées par là aussi   Et pourtant, comme le regrette le directeur de l’Institut pour l’étude des crimes du communisme, « nous disposons déjà d’articles clairs dans le Code pénal, nous ne manquons pas de garde-fous, nous ne pouvons pas dire que la société roumaine n’a pas de repères, bien au contraire ». Au Maroc, les autorités ont toute une panoplie de moyens pour museler les critiques. L’année 2015 a été émaillée de mesures répressives et d’accusations arbitraires à l’encontre des journalistes et des défenseurs de la liberté de la presse. Hamid El-Hamdaoui du site internet indépendant Badil a été accusé de publier de fausses informations, et de perturber l’ordre public. Mahmoud Al- Haissan, de la chaine TV pro Polisario, a écopé de huit mois de prison pour soi-disant avoir « organisé des rassemblements armés et bloqué la voie publique ». L’historien Maati Monjib a été frappé d’une interdiction de sortie sous prétexte d’avoir terni l’image du pays. Les exemples pourraient se multiplier. Et pourtant, la nouvelle Constitution de 2011 est censée garantir la liberté de la presse et la protection des médias… En Serbie, la diffusion de fausses opinions publiques est une méthode largement utilisée. Il s’agit ni plus ni moins d’un cyber harcèlement mettant en ligne de fausses informations, le plus souvent diffamatoires, destinées à systématiquement malmener tous ceux qui ont une opinion critique vis-à-vis du pouvoir. Mais la palme pourrait revenir à la Turquie où l’on a dépassé depuis longtemps le stade de la simple intimidation. La parole au journal Aksiyon du 11 décembre 2015 : «  Le gouvernement s’arroge le droit, à tout moment, faisant fi des obstacles juridiques, de saisir la direction, les biens et les équipements d’un quotidien, d’une radio ou d’une télévision. Il peut chasser les employés de ces médias, il peut même trouver un prétexte, si bon lui semble, pour les faire arrêter. C’est comme s’il n’y avait plus d’obstacle juridique protégeant la liberté de la presse et des médias face à un pouvoir à l’attitude de plus en plus arbitraire ». Tout écran qui s’éteint, tout journaliste emprisonné sont une atteinte aux droits fondamentaux des citoyens qu’ils informent. Notre pays, qui se dit État de droit, est-il à si bonne école qu’à son tour il frappe à la porte du club des liberticides  ? THAILAND-POLITICS-PROTEST-TOURISMRétro pêle-mêle 2004, Air Madagascar prend la décision de déménager de Singapour à Bangkok pour au moins trois raisons : des coûts d’exploitation moindres, un arrière- pays dont ne dispose pas Singapour, et une possibilité de partenariat exemplaire avec Thaï Airways. Avec sa capacité d’absorber 76 vols par heure, minutieusement régentée du haut d’une tour de 132 mètres, le nouvel aéroport de Bangkok, plus grand terminal passager du monde, a coûté la bagatelle d’un milliard d’euros, et des projets pour les prochaines années sont déjà en étude. Qu’il est loin l’amateurisme artisanal d’Ivato ! Septembre 2006, des mains criminelles déversent du sulfure d’hydrogène et d’autres produits hautement toxiques, dans neuf décharges publiques d’Abidjan.  Le bilan provisoire se chiffre à sept morts, vingt quatre personnes gravement touchées, et un raz–de-marée dans les hôpitaux et dispensaires pour des consultations. Le flou le plus total enveloppe les dessous de ce scandale qui semble devoir mettre en cause plusieurs  responsabilités. Un bon point qui mérite d’être attribué vient, par contre, du fait que cette affaire a abouti à une démission collective du gouvernement. Une culture démocratique aussi éloignée des habitudes politiques malgaches que le Pôle Nord l’est du Pôle Sud. La France est toujours sur la première marche des arrivées touristiques mondiales avec 76 millions de visiteurs en 2005. Il faudra patienter jusqu’en 2020 pour voir un autre pays, en l’occurrence la Chine, lui disputer son titre. Cette même Chine injecte déjà 50 000 touristes par mois dans le circuit français, ce qui fait une statistique annuelle dépassant le demi-million. Si les Japonais dépensent 204 euros par nuitée, devançant les Américains qui en sont à 162,  les touristes asiatiques non japonais battent eux aussi les Européens sur le score de 75 euros à 50. Nous l’avons dit, mais nous le redisons : ne rêvons pas d’avoir des flux consistants de touristes chinois, ils préfèrent le néon des pays développés aux cabrioles des lémuriens ! Textes : Tom Andriamanoro Photos : L’Express de Madagascar - AFP
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