Depuis quelques années à Madagascar, des initiatives émergent pour promouvoir le consommer local. Leurs résultats, assez probants, suscitent l’espoir pour réduire la dépendance alimentaire, élargir le tissu industriel, créer des emplois ou structurer des systèmes agricoles durables. Certains produits locaux ont toujours du mal à gagner la préférence des consommateurs et les parts de marché des produits importés sont encore importantes. Les marchés de friperies sont, par exemple, toujours aussi prospères. Mais la situation évolue et l’aboutissement à un changement systémique est possible. Ce qui engendrera des gains importants comme la réduction des importations, le raffermissement de la monnaie nationale, l’augmentation des revenus des petits producteurs… Mettre en valeur les « produits pays » tout en renforçant le patriotisme économique, c’est l’objectif affiché par les promoteurs du consommer local. D’après le Syndicat des industries de Madagascar (SIM), actuellement présidé par Amiraly Hassim, qui collabore avec le ministère de l’Industrialisation, du commerce et de la consommation (Micc) pour mener une campagne de sensibilisation et d’animation au profit des produits fabriqués localement, la prise de conscience des différents acteurs est palpable, mais nous ne sommes qu’au début d’un processus de longue durée. Le SIM mène une campagne en s’appuyant notamment sur les grandes et moyennes surfaces (GMS), les épiceries et les supports d’information populaires. Elle a débuté par la région Analamanga en novembre 2020. Jeux organisés sur les réseaux sociaux, campagne d’affichage et animations au niveau des points de vente sont les principales actions programmées dans le cadre de cette opération conjointe. Un protocole d’accord à cet effet a été signé entre le SIM et son ministère de tutelle. Selon une enquête réalisée par Kantar, à Antananarivo, le taux de pénétration du commerce de proximité pour l’ensemble des produits manufacturés (notamment alimentaires) dépasse aujourd’hui 90% contre près de 40 % pour les supermarchés. Concernant les produits frais (fruits et légumes, volaille, poissons, …), le taux de pénétration de la grande distribution est nettement plus bas. L’accord prévoit également une collaboration dans le cadre de la concrétisation du projet ODOF (un district, une industrie). Un programme qui s’inspire du concept japonais de développement intégré baptisé OVOP (one village, one product). Avec une balance commerciale déficitaire à hauteur de près d’un milliard de dollars américains, l’État est, en effet, appelé à donner un coup de pouce salutaire au tissu productif national qui, en contrepartie, est invitée à arrimer ses produits aux standards internationaux et s’adapter à l’évolution du secteur commercial. « Tout est question de volonté et de mentalité puisque de nombreuses voies peuvent être explorées pour un certain nombre de filières productives afin de convaincre les consommateurs de privilégier les produits made in Madagascar », soutient un observateur économique. Il ajoute que les principales cultures de la Grande ile peuvent connaitre un nouveau destin si tous les acteurs s’y mettent, avec l’appui de l’État et des partenaires techniques et financiers. « Le riz, le manioc et le maïs constituent les principales productions agricoles du pays, en termes de quantité et sur le plan de l’occupation de surface. Mais la compétitivité de ces filières mérite réflexion, en sachant que de nombreuses opportunités ont été négligées. » Côté transformation, tout n’a pas été suffisamment mis en œuvre alors que les opportunités existent. Raison pour laquelle des projets de promotion de la farine de manioc, par exemple, ont été promus par le centre de recherche agricole Fofifa, en collaboration avec l'Institut international d'agriculture tropicale (Iita). Le programme s’inspire des expériences de certains pays du continent africain comme le Nigéria, dont la législation a enjoint les professionnels de la boulangerie et de la pâtisserie à recourir à 25% de farine de manioc dans leur production. « La farine de manioc peut être mélangée avec de la farine de blé dans la production de pain ou dans la pâtisserie. Pour le pain, on préconise environ 3% de volume de farine de manioc, contre environ 20% ou plus pour la pâtisserie, voire 50% pour d’autres mets traditionnels malgaches », explique un technicien du Fofifa. La production de fécule de manioc est également sous-explorée, mais de plus en plus conseillée. Il peut servir dans la production de colle, de charcuterie et dans l’industrie textile. « Une autre perspective donc pour l’aliment des pauvres qui ne l’est pas totalement, en réalité », conclut notre interlocuteur. Un marché à élargir Malgré certaines faiblesses structurelles et un marché local qui n’est pas encore suffisamment large, le secteur malgache de la transformation des produits agricoles poursuit sa marche en avant et n’hésite pas à viser loin. Ce qui ravit les promoteurs du consommer local. Dans la Grande ile, l’industrie alimentaire est l’un des secteurs qui disposent d’un potentiel d’expansion remarquable. Un avantage que l’on constate aussi à l’échelle continentale car selon les estimations, le marché africain de l’alimentaire et des besoins devrait atteindre 1000 milliards de dollars d’ici 2030. Cette forte croissance attendue va aussi générer des milliers d’emplois, une plus grande prospérité, une population mieux nourrie et un net élargissement des opportunités, ce qui permettra aux agriculteurs d’être compétitifs. Madagascar est appelé à tirer profit significativement de ces perspectives positives qui permettent d’élargir et de dynamiser le marché. Ses terrains agricoles lui offrent des avantages comparatifs qui n’attendent qu’à être exploités. De plus, le pays compte plus de 26 millions de consommateurs. Selon l’Institut national de la statistique (Instat), la fabrication d’articles alimentaires occupe déjà une place centrale dans l’agencement de la structure du secteur industriel du pays et, donc, de l’écosystème commercial. Cette branche porteuse a toujours affiché, d’une part, un taux de croissance annuel positif au cours des deux dernières décennies et, d’autre part, représente une part relativement importante (supérieur à 10%) dans la formation de la valeur ajoutée du secteur industriel. Le secteur a connu un regain de dynamisme à partir de 2006, avec un taux de croissance de 2,76% par an, et contribue à faire évoluer les habitudes de consommation. Les matières premières locales constituent des atouts pour les industries. De plus, la plupart sont biologiques et disponibles en toutes saisons. L’irrégularité des approvisionnements en matières premières constitue cependant un des problèmes soulevés par certains opérateurs. La coopération avec des organisations paysannes en est la solution. Sinon, la faiblesse du secteur réside dans la vétusté des machines dans certaines unités. Mais force est de constater que la tendance est en train de prendre la bonne trajectoire. Nombre d’entreprises investissent des dizaines de milliards d’ariary dans des équipements modernes. [caption id="attachment_141994" align="alignright" width="639"] Produire localement les besoins de la population, c’est l’objectif de l’État.[/caption] Promouvoir le contenu local Pour l’Economic Development Board of Madagascar (EDBM), le pays a légitimement le droit de parier sur le consommer local. « L’écosystème est favorable à un coût de main-d’œuvre raisonnable et des prix des matières premières locales accessibles. Ajoutons à cela la volonté des autorités de booster la production agricole (agriculture, élevage, pêche…) pour permettre l’essor de l’agrobusiness, en particulier celui du sous-secteur de l’industrie agroalimentaire, au profit des consommateurs malgaches ». Le Cercle des économistes de Madagascar soutient, pour sa part, que contribuant à une meilleure régulation des marchés et créant de la valeur ajoutée, l’industrie agroalimentaire constitue un débouché majeur pour la production agricole du pays et étoffera l’offre de produits sur le marché interne. Ce think-tank remarque, en outre, que « sur le plan national, les produits fabriqués localement sont de plus en plus à même de concurrencer les produits importés. Aussi, la forte croissance démographique, l’urbanisation avec l’implantation des supermarchés dans les villes et l’apparition de grandes unités de consommation favorisent-t-elles l’extension du marché. » L’initiative d’un nouveau cadre législatif, reposant sur une loi de programmation industrielle, devrait également donner un coup de pouce salutaire au consommer local. Tout comme la réalisation des programmes ODOF et Taninketsa Indostrialy (Zones pépinières industrielles) qui permettent de multiplier la création d’unités de transformation des produits agricoles dans les différents territoires. Mais l’autre défi de Madagascar est de promouvoir ce que l’on appelle le contenu local. Car, en matière de consommation interne, il ne s’agit pas seulement de convaincre la population de consommateurs à préférer le « vita malagasy », mais aussi de pousser les entreprises, notamment les firmes internationales opérant dans le pays, à se tourner vers les produits fabriqués par les entreprises et les producteurs locaux. Certaines grandes boites sont déjà bien avancées dans ce domaine à l’instar de la compagnie Ambatovy qui affirme dépenser des millions de dollars pour ses achats locaux et pour ses activités sous-traitées. L’enjeu stratégique consiste à trouver la voie d’une croissance inclusive qui profite à l’économie nationale, mais surtout aux petits producteurs. C’est ce qu’on appelle la politique du contenu local (local content, en anglais). Selon les fervents supporteurs de ce concept, se fournir sur place répond à une double exigence pour les groupes internationaux : d’un côté, il s’agit de participer au développement économique des régions et des communautés qui jouxtent leurs implantations, un objectif clef lié à la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ; de l’autre, il est question de faire des économies.
Depuis quelques années à Madagascar, des initiatives émergent pour promouvoir le consommer local. Leurs résultats, assez probants, suscitent l’espoir pour réduire la dépendance alimentaire, élargir le tissu industriel, créer des emplois ou structurer des systèmes agricoles durables. Certains produits locaux ont toujours du mal à gagner la préférence des consommateurs et les parts de marché des produits importés sont encore importantes. Les marchés de friperies sont, par exemple, toujours aussi prospères. Mais la situation évolue et l’aboutissement à un changement systémique est possible. Ce qui engendrera des gains importants comme la réduction des importations, le raffermissement de la monnaie nationale, l’augmentation des revenus des petits producteurs… Mettre en valeur les « produits pays » tout en renforçant le patriotisme économique, c’est l’objectif affiché par les promoteurs du consommer local. D’après le Syndicat des industries de Madagascar (SIM), actuellement présidé par Amiraly Hassim, qui collabore avec le ministère de l’Industrialisation, du commerce et de la consommation (Micc) pour mener une campagne de sensibilisation et d’animation au profit des produits fabriqués localement, la prise de conscience des différents acteurs est palpable, mais nous ne sommes qu’au début d’un processus de longue durée. Le SIM mène une campagne en s’appuyant notamment sur les grandes et moyennes surfaces (GMS), les épiceries et les supports d’information populaires. Elle a débuté par la région Analamanga en novembre 2020. Jeux organisés sur les réseaux sociaux, campagne d’affichage et animations au niveau des points de vente sont les principales actions programmées dans le cadre de cette opération conjointe. Un protocole d’accord à cet effet a été signé entre le SIM et son ministère de tutelle. Selon une enquête réalisée par Kantar, à Antananarivo, le taux de pénétration du commerce de proximité pour l’ensemble des produits manufacturés (notamment alimentaires) dépasse aujourd’hui 90% contre près de 40 % pour les supermarchés. Concernant les produits frais (fruits et légumes, volaille, poissons, …), le taux de pénétration de la grande distribution est nettement plus bas. L’accord prévoit également une collaboration dans le cadre de la concrétisation du projet ODOF (un district, une industrie). Un programme qui s’inspire du concept japonais de développement intégré baptisé OVOP (one village, one product). Avec une balance commerciale déficitaire à hauteur de près d’un milliard de dollars américains, l’État est, en effet, appelé à donner un coup de pouce salutaire au tissu productif national qui, en contrepartie, est invitée à arrimer ses produits aux standards internationaux et s’adapter à l’évolution du secteur commercial. « Tout est question de volonté et de mentalité puisque de nombreuses voies peuvent être explorées pour un certain nombre de filières productives afin de convaincre les consommateurs de privilégier les produits made in Madagascar », soutient un observateur économique. Il ajoute que les principales cultures de la Grande ile peuvent connaitre un nouveau destin si tous les acteurs s’y mettent, avec l’appui de l’État et des partenaires techniques et financiers. « Le riz, le manioc et le maïs constituent les principales productions agricoles du pays, en termes de quantité et sur le plan de l’occupation de surface. Mais la compétitivité de ces filières mérite réflexion, en sachant que de nombreuses opportunités ont été négligées. » Côté transformation, tout n’a pas été suffisamment mis en œuvre alors que les opportunités existent. Raison pour laquelle des projets de promotion de la farine de manioc, par exemple, ont été promus par le centre de recherche agricole Fofifa, en collaboration avec l'Institut international d'agriculture tropicale (Iita). Le programme s’inspire des expériences de certains pays du continent africain comme le Nigéria, dont la législation a enjoint les professionnels de la boulangerie et de la pâtisserie à recourir à 25% de farine de manioc dans leur production. « La farine de manioc peut être mélangée avec de la farine de blé dans la production de pain ou dans la pâtisserie. Pour le pain, on préconise environ 3% de volume de farine de manioc, contre environ 20% ou plus pour la pâtisserie, voire 50% pour d’autres mets traditionnels malgaches », explique un technicien du Fofifa. La production de fécule de manioc est également sous-explorée, mais de plus en plus conseillée. Il peut servir dans la production de colle, de charcuterie et dans l’industrie textile. « Une autre perspective donc pour l’aliment des pauvres qui ne l’est pas totalement, en réalité », conclut notre interlocuteur. Un marché à élargir Malgré certaines faiblesses structurelles et un marché local qui n’est pas encore suffisamment large, le secteur malgache de la transformation des produits agricoles poursuit sa marche en avant et n’hésite pas à viser loin. Ce qui ravit les promoteurs du consommer local. Dans la Grande ile, l’industrie alimentaire est l’un des secteurs qui disposent d’un potentiel d’expansion remarquable. Un avantage que l’on constate aussi à l’échelle continentale car selon les estimations, le marché africain de l’alimentaire et des besoins devrait atteindre 1000 milliards de dollars d’ici 2030. Cette forte croissance attendue va aussi générer des milliers d’emplois, une plus grande prospérité, une population mieux nourrie et un net élargissement des opportunités, ce qui permettra aux agriculteurs d’être compétitifs. Madagascar est appelé à tirer profit significativement de ces perspectives positives qui permettent d’élargir et de dynamiser le marché. Ses terrains agricoles lui offrent des avantages comparatifs qui n’attendent qu’à être exploités. De plus, le pays compte plus de 26 millions de consommateurs. Selon l’Institut national de la statistique (Instat), la fabrication d’articles alimentaires occupe déjà une place centrale dans l’agencement de la structure du secteur industriel du pays et, donc, de l’écosystème commercial. Cette branche porteuse a toujours affiché, d’une part, un taux de croissance annuel positif au cours des deux dernières décennies et, d’autre part, représente une part relativement importante (supérieur à 10%) dans la formation de la valeur ajoutée du secteur industriel. Le secteur a connu un regain de dynamisme à partir de 2006, avec un taux de croissance de 2,76% par an, et contribue à faire évoluer les habitudes de consommation. Les matières premières locales constituent des atouts pour les industries. De plus, la plupart sont biologiques et disponibles en toutes saisons. L’irrégularité des approvisionnements en matières premières constitue cependant un des problèmes soulevés par certains opérateurs. La coopération avec des organisations paysannes en est la solution. Sinon, la faiblesse du secteur réside dans la vétusté des machines dans certaines unités. Mais force est de constater que la tendance est en train de prendre la bonne trajectoire. Nombre d’entreprises investissent des dizaines de milliards d’ariary dans des équipements modernes. [caption id="attachment_141994" align="alignright" width="639"] Produire localement les besoins de la population, c’est l’objectif de l’État.[/caption] Promouvoir le contenu local Pour l’Economic Development Board of Madagascar (EDBM), le pays a légitimement le droit de parier sur le consommer local. « L’écosystème est favorable à un coût de main-d’œuvre raisonnable et des prix des matières premières locales accessibles. Ajoutons à cela la volonté des autorités de booster la production agricole (agriculture, élevage, pêche…) pour permettre l’essor de l’agrobusiness, en particulier celui du sous-secteur de l’industrie agroalimentaire, au profit des consommateurs malgaches ». Le Cercle des économistes de Madagascar soutient, pour sa part, que contribuant à une meilleure régulation des marchés et créant de la valeur ajoutée, l’industrie agroalimentaire constitue un débouché majeur pour la production agricole du pays et étoffera l’offre de produits sur le marché interne. Ce think-tank remarque, en outre, que « sur le plan national, les produits fabriqués localement sont de plus en plus à même de concurrencer les produits importés. Aussi, la forte croissance démographique, l’urbanisation avec l’implantation des supermarchés dans les villes et l’apparition de grandes unités de consommation favorisent-t-elles l’extension du marché. » L’initiative d’un nouveau cadre législatif, reposant sur une loi de programmation industrielle, devrait également donner un coup de pouce salutaire au consommer local. Tout comme la réalisation des programmes ODOF et Taninketsa Indostrialy (Zones pépinières industrielles) qui permettent de multiplier la création d’unités de transformation des produits agricoles dans les différents territoires. Mais l’autre défi de Madagascar est de promouvoir ce que l’on appelle le contenu local. Car, en matière de consommation interne, il ne s’agit pas seulement de convaincre la population de consommateurs à préférer le « vita malagasy », mais aussi de pousser les entreprises, notamment les firmes internationales opérant dans le pays, à se tourner vers les produits fabriqués par les entreprises et les producteurs locaux. Certaines grandes boites sont déjà bien avancées dans ce domaine à l’instar de la compagnie Ambatovy qui affirme dépenser des millions de dollars pour ses achats locaux et pour ses activités sous-traitées. L’enjeu stratégique consiste à trouver la voie d’une croissance inclusive qui profite à l’économie nationale, mais surtout aux petits producteurs. C’est ce qu’on appelle la politique du contenu local (local content, en anglais). Selon les fervents supporteurs de ce concept, se fournir sur place répond à une double exigence pour les groupes internationaux : d’un côté, il s’agit de participer au développement économique des régions et des communautés qui jouxtent leurs implantations, un objectif clef lié à la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ; de l’autre, il est question de faire des économies.