José Andrianoelison - « Si le pouvoir s'entête, il y a un risque de guerre civile »


Ancien ministre de Didier Ratsiraka, ancien Chef d'État, ancien ténor du parti Arema, José Andrianoelison a été absent de la scène politique durant plusieurs années. De retour aux affaires en ayant intégré le cabinet de Jean Ravelonarivo, ancien Premier ministre, il se pose actuellement en observateur avisé de la vie nationale. Pour l'ancien ministre, un dialogue impliquant tous les citoyens pour trouver un intérêt commun supplantant l'intérêt particulier est la solution à la conjoncture. • Depuis quand êtes-vous de retour à Madagascar et quelle est votre activité actuelle ? - J'ai quitté le pays précipitamment, sans passeport, en 2002. Mes papiers n'ont pas été renouvelés par l'État malgache. J'ai été obligé de m'installer à l'étranger jusqu'en 2009. Je n'ai pu renouveler mon passeport qu'en mars 2009. J'en ai profité pour revenir au pays pour un séjour de trois mois. Cela m'a permis d'échanger avec les leaders de la Transition. (…) Ensuite, lorsque le général Jean Ravelonarivo fut nommé Premier ministre, il m'a proposé un poste au gouvernement, mais nous savons que le dernier mot appartient au président de la Répu­blique. Après quoi, Jean Ravelonarivo m'a proposé d'être son conseiller. J'ai donc été son conseiller depuis mars 2015, jusqu'à son départ de Mahazoarivo. Il m'a demandé de rester au pays quelques mois, au cas où le nouveau aurait besoin de moi. C'est là où j'en suis. • Durant tout ce temps d'absence de la scène politique, quelle est, par exemple, votre relation avec l'ancien président Didier Ratsiraka ?  - Vous savez que j'ai quitté le pays dans un contexte trouble et avec un visa touriste. La priorité était  donc de régulariser ma situation qui était, d'autant plus, précaire. Certains camarades ont continué à faire de la politique. Moi, j'ai choisi d'arrêter, car je pense que ce n'est pas en vivant à l'étranger que j'allais faire de la politique à Madagascar. Depuis 2004, je n'ai plus eu de contact fréquent avec l'ancien président Ratsiraka, chacun était occupé à remettre de l'ordre dans sa vie. À mon retour, je l'ai rencontré en tant que « Raymandreny ». C'était il y a un mois. Nous avons discuté de la situation nationale. C'est la première fois que je l'on s'est vu depuis 2009 (…). • Si actuellement, vous êtes sollicité par le président Hery Rajaonarimam­pianina pour faire partie du gouvernement, ou prendre part à la gestion de la nation, quelle serait votre décision ? - Je ne pense pas qu'il me solliciterait, car du temps où le Premier ministre qu'il a désigné a proposé mon nom, il ne m'a pas pris. Aussi, je ne pense pas qu'il change d'avis maintenant. • Qu'en est-il de votre relation avec l'ancien président Marc Ravaloma­nana   Vous êtes-vous déjà rencontrés   Vous êtes-vous pardonnés de ce qui s'est passé en 2002, vu que la réconciliation nationale est sur toutes les lèvres ? - Je n'ai jamais eu l'occasion de le rencontrer. Malgré ces fâcheux évènements, nous ne nous sommes pas querellés directement. Je pense qu'il n'y a pas besoin de réconciliation. C'est une histoire ancienne. Nous faisons de la politique. Ma maison a été mise à sac et je ne pense pas que ce soit Marc Ravalomanana en personne qui ait fait cela. C'est peut-être à cause de la politique qu’il a pratiqué. Il n'y a pas de ressentiment. J'estime qu'il faudrait se concentrer sur la reconstruction. • Concernant l'actualité politique, selon vous, quelle est la voie idéale pour apaiser les agitations politiques actuelles ?  - Tout le monde parle de refondation, de reconstruction qu'il soit au sein du pouvoir, ou en dehors. Mais après, il n'y a plus de point de convergence. Tous veulent en être le chef de file et imposer leurs propres objectifs. Aussi, le dialogue martelé reste-t-il au stade de discours et n'est jamais concrétisé. Je pense qu'il faut amener les Malgaches, je ne parle pas de politiciens, au dialogue pour trouver des solutions aux problèmes du pays. C'est la seule solution, car les calculs politiques de part et d'autres biaisent le dialogue. • Comment parvenir à ce dialogue impliquant tous les Malgaches ? - En prenant les problèmes de fond au sein de la société comme thématiques. Des sujets qui engendrent des situations houleuses, mais qui ne sont jamais abordés de front. Prenons le cas de Soamahamanina, par exemple. Il ne s'agit pas seulement d'une opposition entre les habitants et les exploitants chinois, mais il met en exergue la problématique sur le point de vue des Malgaches sur les exploitations minières. (…) Il faudra y trouver un point d'intérêt commun aux Malgaches. À titre d'exemple, le code minier en vigueur prévoit que les richesses minières appartiennent à l'État, et non pas aux propriétaires des terres. Les Malgaches acceptent-ils cela   Serait-ce la raison de toutes ces contestations   Est-ce que la loi ne cadre pas avec les valeurs et la culture malgaches   La loi ne serait-elle pas l'émanation de l'aspiration du peuple, mais un texte qui lui soit imposée   Discuter de pareille chose ne doit pas se faire en période trouble, ou à l'orée des élections, mais durant les moments d'apaisement. (…) Parce que nous ne faisons pas cela, ce sont les bailleurs de fonds qui nous disent quoi faire. Ce qui conduit à un affrontement entre Malgaches, parce que nous n'avons pas d'intérêts communs, pas de socle commun. • Qui devrait alors conduire ce dialogue entre Malgaches  ? - Qu'importe qui sera l'initiateur, que ce soit les politiciens, les chefs religieux,  ou la société civile. L'impor­tant est que le dialogue se fasse. Il ne devrait, toutefois, pas être dans le but d'évincer ou de fortifier le pouvoir en place, mais de régler les problèmes communs à la nation. Chacun y a sa part de responsabilité. Selon moi, c'est l'unique voie pour sortir de ce marasme délétère, car les affrontements entre intérêts particuliers occultent l'intérêt général. Cela vaut pour un autre exemple qu'est le délestage. Est-ce le principal problème, ou l'accès à l'électricité de la majorité de la population. (…) Il faut voir si le fait de nous focaliser à résorber le problème du délestage qui concerne 15% de la population ne risque pas d'empêcher le reste d'avoir accès à l'électricité. (…) Lorsque les enjeux ne sont pas exposés à la population, il n'y aura pas de solution durable. (…) Nous savons que la solution est l'énergie renouvelable et cela est tambourinée, mais n'est jamais mise en œuvre. (…) Si nous voulons résoudre ce problème, il faut un effort commun. Cela nécessitera peut-être faire des concessions, mais il faudra aussi que les dirigeants expliquent et argumentent sur ses choix politiques afin de gagner cet élan national. (…) Lorsque la population sait et comprend où les décisions vont les mener, ils accepteront les privations. Sinon, ils seront toujours réceptifs aux idées séditionnistes.

" Il faut consulter la population pour connaître la réalité de tous les jours, comme le font déjà certains politiciens. "

• Le moment est-il opportun pour ce dialogue ? - Certainement, car malgré les agitations politiques, la population semble lasse des manifestations populaires d'ordre politique. L'on constate qu'ils ne descendent plus dans la rue que pour défendre un intérêt particulier. Comme les syndicalistes qui luttent pour l'amélioration de leur condition de travail. Nous n'avons cité comme exemple que le secteur minier et énergétique, mais cela concerne aussi l'éducation, la santé et surtout la sécurité. • Certes, mais comment parvenir à réunir les Malga­ches pour discuter de ces sujets ? - Les Malgaches sont quotidiennement concentrés sur ces problèmes et la manière de les résoudre. Il faut seulement les amener à transcender l'intérêt particulier pour aller vers l'intérêt commun. Et les leaders, à tous les niveaux, ont la responsabilité d'impulser cela. (…) Le moment est idéal pour engager le dialogue, car tout le monde a conscience que le pays ne mérite pas d'être dans une telle situation de précarité. (…) Je concède que du temps où j'étais au pouvoir, je n'ai pas pu y arriver, mais je pense que c'est la voie idoine à exploiter. • Avons-nous le temps, étant donné que les élections de 2018 sont en vue, y a-t-il encore un espoir d'y parvenir ? - Qu'importe le temps qu'il faudra, car c'est la voie idéale. L'on ne devrait pas accepter de continuer à faire une chose qui ne marche pas, juste parce que cela nous permet de rester au pouvoir. La période qui reste avant les élections doit être l'occasion pour les Malgaches de discuter sur leurs intérêts communs. Les candidats aux élections seront ensuite tenus d'intégrer ces solutions communes et concertées à leur programme politique. Cela ne les empêchera pas d'avoir leur programme spécifique, mais ils doivent prendre en compte ce qui a été décidé pour l'intérêt commun. (…) • Selon vous, ceux qui dirigent ont-ils réellement le développement dans l'optique, étant donné l'opacité des prises de décision, où il semble que les intérêts particuliers ne sont jamais loin ?  Est-il possible de changer cette mauvaise habitude ? - Si le pouvoir n'arrive pas à changer cette pratique, il y a un risque que la situation finisse par une guerre civile. La faiblesse du pouvoir est qu'il n'a pas encore de résultat. (…) mais face à cette absence de résultats, il ne définit pas un cheminement clair et cohérent. Par exemple, l'EDBM est en charge d'attirer les investisseurs étrangers. Maintenant, une autre entité, l'ADMP, est investie de la même mission. Toutes deux sont indépendantes et ont à leur tête des conseillers spéciaux du président de la République. Est-ce si difficile d'intégrer l'ADMP à l'EDBM, pour clarifier la politique des affaires du pouvoir. Cette absence de cohérence, ajoutée aux bruits de corruption et autres choses nuisent à la crédibilité du régime. Aussi, tous les maux de la nation sont-ils imputés aux tenants du pouvoir. (…) Je pense qu'il n'est pas nécessaire de changer, mais qu'il faut juste réajuster les démarches, y apporter plus de cohérence. (…) • Selon vous, lorsque la population est au fait de la direction à prendre, elle acceptera les privations. Leur expliquer ce que l'on veut faire et les objectifs à atteindre suffira-t-il, étant donné la conjoncture socio-politique ?  - Il faut reconnaître qu'il y a des gens qui sont dans une situation très précaires. Cela nécessite des mesures d'accompagnement afin d'alléger leur quotidien. Je pense que l'État est en train de s'y mettre, et doit le faire. Il s'agit aussi de consulter la population pour connaître la réalité, les difficultés qu'il vit tous les jours. Certains politiciens le font déjà, comme Edgard Razafin­dravahy par exemple. L'on ne pourra pas dire qu'il n'est pas au fait de ce que vit la population au quotidien, des défis à surmonter, car il discute avec la population. Les dirigeants devraient faire pareil. • Sinon, quelles sont les failles dans nos partenariats avec les bailleurs internationaux  ? - D'abord, nous ne devons pas rejeter nos échecs sur les bailleurs de fonds. La problématique des fonctionnaires fantômes, par exemple. Tous les trois ou quatre ans, ce sujet revient dans les débats. Ce n'est pas le Fonds monétaire international (FMI) qui gère l'administration, c'est nous Malgaches, nous, les anciens dirigeants et les actuels tenants du pouvoir. Certes, il y a des conditionnalités posées par les bailleurs, mais ce sont nous Malgaches qui les avons accepté et signé. • La sécurité est aussi un problème récurrent. Les forces de l'ordre semblent devenir plus un problème qu'une solution,  et semblent incontrôlables. Com­ment arrêter l'hémorragie  ? - J'avoue que je n'ai pas d'avis sur le sujet. Seulement, l'on constate qu'il y a des endroits où il n'y a presque pas de forces de l'ordre et qui n'ont pas de problème de sécurité. Contrairement, il y a des zones bondées de force de sécurité et qui font face à l'insécurité. C'est pour dire que mon avis ne suffira pas. C'est l’un des sujets qui nécessitent une consultation locale. Pourquoi la population n'a-t-elle pas confiance en les forces de l'ordre, en la justice   (…) Il y a aussi, probablement, des problèmes internes comme le recrutement, la formation, ou encore le budget et le matériel. (…) Une bonne répartition des éléments sur le territoire national, avec une collaboration de la population, pourrait être une solution. (…) Propos recueilli par Garry Fabrice Ranaivoson
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