On a parlé «Ordures»


Les ordures sont une affaire très sérieuse. Ainsi, une thèse de doctorat en géographie leur fut consacrée, par Mme Rindra Raharinjanahary, il y a seize ans, à l’Université de Perpignan (France) : «Antananarivo et ses ordures : production, collecte, valorisation». Les éditions «Foi et Justice», qui l’avaient publiée dans sa série «Questions actuelles», en ont fait cette présentation : «Antananarivo se voit confrontée à l’entassement des déchets dans le paysage urbain. Après une collecte mal assurée et mal organisée, la mise en décharge reste leur seul mode d’élimination. Raharinjanahary Rindra montre que la production des ordures, majoritairement putrescibles, est relativement faible. Par contre, la représentation et la pratique qu’en ont les Tananariviens font obstacle à la résolution du problème. S’y ajoute la défaillance des moyens mis en oeuvre. Or, la valorisation de ces déchets crée des milliers d’emplois. Ce travail méconnu (NDLR : la thèse a été soutenue en 2006 et éditée en 2011) est devenu, pour de nombreuses familles pauvres, source de revenus autant que lien social. Mais, la filière reste marginalisée, victime de l’exploitation des nantis et de l’exclusion sociale». Parmi les «représentations» qu’on peut avoir des ordures, ne serait-ce que de leur simple transport, on pourrait évoquer la répulsion à envisager le transfert à Antsampandrano-Ilafy ou Fiakarana-Marovatana ou sur la route d’Antsahadinta, l’actuel site d’Andralanitra, définitivement rattrapé par l’extension de la métropole tananarivienne. J’ai eu la chance de découvrir un centre Siredom de gestion des déchets dans la ville d’Étampes (Essonne, France). À cette époque, la démarche d’ici (Antananarivo Renivohitra et les communes du Grand Tana) ambitionnait déjà s’inscrire dans un processus plus «moderne» avec la triptyque «collecte-traitement-valorisation». Sauf que, là-bas, il y avait une étape préalable supplémentaire avec le «tri» des déchets. Les ordures ménagères finissaient à l’incinération, leur combustion étant valorisée en électricité, tandis que Siredom réussissait à confectionner des polaires à 89% de plastique recyclé, issu des bouteilles de PET. J’ai également pu me rendre sur un autre site, au centre «FakoFia» (pour Fako de Fianarantsoa) géré par «Le Relais Madagasikara» qui, outre la production du véhicule Karenjy, assure pour le compte de la Ville de Fianarantsoa la collecte et la valorisation des déchets. Les déchets organiques, qui constituent 75% de la collecte, suivent un lent processus de compostage à l’air libre dont le produit fini est un compost biologique que «Le Relais» commercialise sous le nom de «Soavokatsa». Malgré la «représentation» qu’on a généralement des déchets, surtout des ordures organiques, il faut souligner que, sur le site, nous n’avons pas été importunés ni par des odeurs pestilentielles ni envahis par des nuées de mouches. Dans une série de discussions avec Mamy Rajaobelina (Ministre du Développement Urbain dans le Gouvernement de Razanamasy Guy, lui-même deux fois Maire d’Antananarivo), nous avons cette fois évoqué la punition sans cesse recommencée, à la Sisyphe, de la collecte des ordures ménagères d’Antananarivo. Cette première étape a déjà épuisé plusieurs Maires et PDS (Présidents de Délégation Spéciale) et notre conversation s’est bornée à étudier l’étape de la «collecte», malgré un souci minimal d’un «tri» effectué par chaque «collecteur», mais sans cogitation de leur «traitement», encore moins d’un rêve de leur «valorisation». Si on achetait les ordures au kilo ? Avec pesage, aux lieux et horaires de ramassage fixés par la Ville, suivi d’un paiement cash directement sur place. L’idée, c’est de créer une vocation de «collecteurs» qui pousseraient le zèle jusqu’à récupérer dans les canaux et le réseau d’eaux pluviales (qu’ils contribueraient ainsi à nettoyer régulièrement pour alléger la charge des «tatatra») les «fako» pour augmenter leur «tonnage». Le seuil d’extrême pauvreté de la Banque mondiale se situe à 2 dollars par jour par individu. Bien entendu, il est presque indécent de ramener les ressources allouées à une personne (pour se nourrir, s’habiller, se loger) au prix d’une quarantaine de «Mofo Gasy». Mais l’idée (c’est toujours une idée), c’est de créer une «amorce», et surtout des emplois. La question du financement se heurte au principe hérité des finances publiques françaises de la «non affectation des recettes». Un principe à révolutionner puisque l’idée est de pouvoir collecter auprès des Fokontany (détachés de la Mairie alors que c’est l’unité socio-territoriale de base) la contribution directe à ces 2 dollars par jour. La détermination de l’assiette «fiscale» requiert de meilleurs indicateurs (démographie, csp) auprès de l’Institut National des Statistiques, comme d’ailleurs pour l’identification des bénéficiaires. Dans l’actuel découpage territorial des six Arrondissements de la Capitale, partout l’opulence jouxte la pauvreté. De chacun, selon ses moyens ou à chacun, selon ses besoins ? Toujours est-il qu’avec cette recette affectée, chacun saura où va son argent et pourra réclamer des comptes en conséquence. Ce qui demeure hypothétique avec le «panier» de la «ROM» (redevance sur ordures ménagères). De leur côté, les «collecteurs» seront dotés d’une carte de type «Karatra isan-dahy», moins pour le contrôle que pour développer un sentiment d’existence à la Ville.
Plus récente Plus ancienne