Priorité coutumière, Stop par habitude


La Route dite circulaire avait été aménagée dès le début de la colonisation pour contourner la colline de la Haute-Ville d’Antananarivo, mais on a oublié de lui trouver une échappatoire qui lui permette de ne pas se mordre indéfiniment la queue. Ce «pont de Brooklyn» aurait pu être jeté au carrefour d’Ambanidia vers Ambatoroka pour sauter par-dessus la vallée de la Route de l’Université et rejoindre directement la colline d’Andrainarivo. Voilà une trentaine d’années, mais sans doute déjà bien avant, quand les feux tricolores existaient encore, la question du «vous avez la priorité» ou «vous cédez les passage» au carrefour d’Ambodirotra (près de l’ambassade d’Allemagne) et de la route depuis Ampahibe (près de l’ancienne Centrale Auto) était un cas d’école. Malgré la disparition des feux tricolores, là et partout ailleurs dans Antananarivo, la vieille habitude des coutumes acquises a toujours évité que s’y produise un accident grave. Même sans aucun marquage au sol, même en l’absence de panneau, chaque automobiliste savait en suivant simplement l’exemple général. C’est comme si le Code la Route avait fait place à un grand recueil de traditions orales automobiles que l’on se transmet de moniteurs en apprentis. Certains nouveaux marquages au sol de la route circulaire perturbent ces vieilles habitudes. C’est à ce titre, quoique dans une tradition d’écrits qui s’envolent moins que la parole, que j’ai retrouvé cette vieille Chronique du 18 novembre 2005. Je suis tombé sur ce panneau « céder le passage ». Le tout nouveau, tout beau carrefour d’Ankorondrano, en arbore à chaque intersection. Manifestement, la confiance des autorités en ces panneaux reste pourtant limitée puisque des agents de la circulation avaient été ostensiblement postés pour rappeler par la vertu d’une contravention la signification oubliée du code de la route. « Céder le passage »: comme si tous les automobilistes étaient censés comprendre le français. Je ne suis pas convaincu que les chauffeurs de taxibe, les plus assidus à transgresser allègrement le code du simple bon sens, soient particulièrement francophones. Et puis, on est à Madagascar, que diable! On le savait que la signification des panneaux et des lignes avait été oubliée et on avait d’ailleurs, ici même, suggéré que ces signes, devenus ésotériques, soient dûment explicités par un commentaire adéquat. Mais, plutôt que « céder le passage », je pensais à quelque chose comme « mandefitra ». En nombre de lettres, parce que ce serait le reproche le plus courant adressé à cette langue de discours qu’est le malgache, l’encombrement serait même moindre. La malgachisation aurait donc omis, dans sa revue, le Code de la route. Un besoin pourtant quotidien, d’un usage urgent avec cette circulation tananarivienne simplement démentielle. On n’aurait pas de toute une chronique pour faire l’inventaire du n’importe quoi dont les chauffeurs de taxi ou de taxi-be, voire de particuliers à leur tour contaminés par le laisser-aller ambiant, sont capables. Parfois, au nez et à la barbe d’agents de la circulation totalement dépassés ou qui se souviennent fort opportunément devoir rentrer chez eux pris en stop par ces mêmes transports en commun. Chaque nouveau carrefour, pompeusement inauguré, devrait servir de prétexte pédagogique. La suppression du cours d’éducation civique doit être physiquement palliée par des interdictions concrètes: une ligne continue signifie à peu près autant de choses à ces chauffards qu’une borne de l’immatriculation foncière à un bovin. Matérialiser les symboles du code de la route revient chez nous à ériger un véritable muret que nul ne s’aviserait plus d’enjamber.
Plus récente Plus ancienne