Chronique de VANF : La sorcellerie Mourinho


Les idées peuvent ne pas suffire. Faute d’une personnalité pour les porter, qui les incarne. Une figure dont la seule présence casse la routine et introduit ce déséquilibre infinitésimal qui fait bouger les lignes. Et remettre du mouvement. Une figure charismatique qui, sans être un Messie, devient réellement providentielle. L’apathie d’un enjeu privé devient subitement fourmillement de questions. Ce qui semblait acquis est arraché à sa zone de confort parce que tout redevient possible. Ce je-ne-sais-rien d’incertitude nouvelle qui ranime l’encéphalo des plus blasés d’entre nous. Ce n’est pas de la politique. «The Special One» comme il s’est lui-même autoproclamé n’est ni chef d’État ni pape d’Église. Quoiqu’il soit de ces moines-alchimistes d’une nouvelle religion : le football. Ils se comptent sur le doigt d’une seule main ces managers dont la seule mention du nom galvanise les troupes. Leur présence est l’arbre où commence la forêt : des joueurs «pas à vendre» se retrouvent in extremis sur le mercato ; les financiers jusque-là revêches suivent ; les abonnements au club explosent. Surtout, les médias sont subjugués, comme le sont actuellement les tabloïds britanniques depuis l’annonce de son retour en Premier League. José Mourinho est l’un de ces sorciers. Parce que le football moderne est cruel dans sa hâte de résultats, José Mourinho, qui tardait à endosser le large manteau de gloire et de respectabilité laissé par Sir Alex Ferguson, son emblématique prédécesseur, avait été débarqué sans ménagement de Manchester United. Les cimetières sont peut-être emplis de gens qui se pensaient irremplaçables, mais Alex Ferguson semble vraiment l’être : irremplaçable avec ses 38 trophées (dont 13 titres de champion d’Angleterre et 2 Ligues des champions) en 27 saisons à la tête du club mancunien. «I’ll bring back the glory days» fanfaronne déjà Mourinho. Mais, quels «glory days» ? Tottenham, ce n’est pas Manchester United ni Liverpool, 38 Premier League à eux deux. Ni même Chelsea avec lequel Mourinho a gagné trois Premier League et bâti sa légedne anglaise. Les supporters des Spurs doutent qu’avec Mourinho se bâtisse un projet de jeu comme Pep Guardiola a mis en place à Man City ou un collectif comme Jurgen Klopp sait créer à Liverpool ou Dortmund. À une époque, José Mourinho s’était moqué des «poètes du football» qui ne gagnent jamais rien. Lui qui a gagné deux fois la Ligue des Champions, deux fois l’Europa League ; lui qui a été champion et vainqueur de la Coupe dans tous les pays où il a coaché (Portugal, Angleterre, Italie, Espagne). Moins de poésie, donc. Rien que des résultats. Des titres. C’est pourtant vrai qu’il n’y a pas de Coupe du Monde du beau jeu. Et que personne encore, jamais, n’a vu une extase populaire exploser jusqu’à hurler de félicité dans la rue à l’annonce d’un jeu léché battu sur un but de raccroc. On oublie souvent que Mourinho détient le record absolu du nombre de points (100) pour un champion d’Espagne, assorti du plus grand nombre de buts jamais marqué en une saison (121). Celui qui avait fait défendre à onze l’Inter de Milan contre le FC Barcelone, sait donc aussi nous surprendre. À son propos, il se murmure des choses qu’on croyait totalement impensables voilà encore une semaine : que de son chapeau, Mourinho ferait sortir un autre «Spécial», Zlatan Ibrahimovic en personne. Celui qui, à 38 ans, vient de quitter le championnat américain sur ces mots dont il est le seul capable : «Vous vouliez du Zlatan, je vous ai donné du Zlatan. Maintenant, vous pouvez retourner regarder le baseball». À égocentrie, égocentrie et demie : le paisible Tottenham se prépare une fin de saison d’hypertension.
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