« Tu seras un homme, mon fils »


Parmi les chansons populaires créées pendant la première période de l’évolution de la musique merina, l’organiste Marie-Robert Rason, maitre de chapelle de la cathédrale catholique d’Antananarivo au début des années 1950, relève par exemple une « Mélopée chantée à l’occasion de la circoncision ». D’entrée, il discerne trois « qualités en opposition » : l’invocation suppliante de toutes les  femmes à la divinité (religiosamente), pleurs à l’approche du sang qui va être versé pour la première fois, et joie à la perspective que l’enfant circoncis deviendra plus tard un homme courageux. La circoncision traditionnelle, comme on le sait, a lieu en hiver sur les Hautes-terres. La cérémonie commence la veille de l’opération. « Ce jour-là, on plante dans la salle principale de la maison, à l’angle nord-est, Anjorofirarazana ou coin des Ancêtres, un fototra ou tronc de bananier au bout duquel on introduit un chandelier malgache. Ce fototra, sur lequel on allume une torche enduite de suif, sert de lustre aux danseurs et chanteurs qui doivent passer la nuit à veiller. Il est  fady (tabou, interdit) de laisser éteindre ce feu jusqu’à ce l’opération ait lieu au petit matin. » À l’aube, la mère de l’enfant à circoncire, étouffant l’émotion qui commence à lui serrer le cœur, invite parentes et amies à se rendre à l’ « Anjorofirarazana », endroit de tout temps considéré comme favorable. Après s’être serrée fortement la taille avec son lamba, pour montrer à son fils le courage que l’on doit avoir en face du danger, elle se prosterne face contre terre. L’hymne sacré sort de ses lèvres tremblantes ; les autres femmes, compatissantes, reprennent en chœur. Devant la porte, hommes et jeunes gens sont rangés, ceints du traditionnel salaka ou pagne, armés de la lance et du bouclier. Lorsque les premières notes de l’hymne entonné par la mère de l’enfant leur parviennent, ils s’en vont d’un pas alerte à la conquête de l’eau forte et sainte (« rano mahery sy masina ») nécessaire à la cérémonie. Ils la puiseront dans la source la plus limpide qu’ils ne trouveront que très loin. Le plus vaillant de la troupe ouvre la marche, portant sur la tête une calebasse dans laquelle sera recueillie l’eau sacrée. Tout le long du chemin, l’air retentit des éclats de leurs voix, entonnant non pas un hymne de guerre, mais « un récitatif » rythmé avec frénésie. « Enfant, tu seras pareil à l’aiglon éclos sur la roche du sommet le plus élevé, tu en auras la force et la vigueur, tout cèdera à ta volonté, tu seras vaillant et intrépide, prends exemple sur nous. » Ces hommes courent, volent, brisent tous les obstacles qui se présentent à eux. Le long de leur passage, des jets de pierre dont ils se rient, les accueillent. C’est la coutume de lancer des pierres à ceux qui vont recueillir l’eau destinée à la circoncision et ce, pour donner plus de valeur à la conquête de cette eau. À l’issue de leurs exploits, ils rentrent à la case, essoufflés mais fiers, en criant « Zanaboromahery ! » (Fils d’épervier). La « rano mahery », attendue avec impatience, est accueillie par une exclamation de joie. L’opération peut commencer. Pour étouffer les plaintes de l’enfant, les femmes entourant la mère angoissée, agenouillées, chantent le récitatif rythmé. De leur côté, les hommes s’activent. L’un d’eux bat le « hazolahy » (littéralement bois viril) devant la porte, ou un « ampongan’ny ntaolo» (tambour des ancêtres). Ce tambour allongé dont le son est soutenu par le bruit des lancées frappées contre les boucliers, accompagnent d’autres hommes qui s’écrient « Lahy ialahy… sois un homme, ô enfant, sois vaillant, sois intrépide ; cours sans peur après la fortune, elle te sourira… » Le tintamarre ne cessera qu’à la fin de l’opération. Autre air populaire évoqué par Marie-Robert Rason est l’« Hymne en l’honneur de l’idole Ramahavaly ». « Il ne manque pas d’attrait en raison de la 7e majeure de la seconde mesure, de l’accord de fa très rapide, mais qui se résout sur la sensible à la dominante, et de nouveau sans préparation à la quarte.» Une troisième chanson populaire, très en vogue à l’époque, s’intitule « Ô Ralila ». Elle est chantée par les soldats qui, en quittant le pays natal, recommandent à leurs familles d’apporter leurs effets de voyage qu’ils énumèrent dans leur chant. Enfin, un autre air est celui qu’ils chantent lorsqu’ils sont en campagne au loin, leur pensée s’envolant vers la terre natale. C’est « Mazava atsinanana », clarté à l’Est. Texte : Pela Ravalitera - Photo : Archives personnelles
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