Une tradition bien ancrée résistant à une occidentalisation superficielle


En dehors de l’Imerina et de quelques cantons sur les côtes, en 1864, l’ensemble de Madagascar est confronté à l’Occident. Car la civilisation des ancêtres y reste très forte, la fidélité aux coutumes et le goût de la liberté peuvent l’emporter sur l’amour de la terre, l’économie d’échange est très réduite, les bouleversements entraînes par la circulation monétaire ne se produisent pas. C’est le cas chez les Antanosy, les Antesaka… (lire précédente Note). Dans l’Imerina, au contraire, les valeurs de la civilisation occidentale ont pénétré depuis un demi-siècle. Selon les auteurs de l’Histoire de Madagascar réservée aux élèves des classes Terminales (1967), la crise de la société merina est réelle, mais le fond reste profondément ancestral. Le développement des échanges, le goût du luxe augmentent les besoins des personnes. Le commerce enrichit certains. « La montée d’une bourgeoisie hova est, sans doute, le phénomène essentiel de ce demi-siècle d’évolution.» Pour vaincre la féodalité andriana, la monarchie utilise les nouveaux riches. Ainsi le Premier ministre Rainilaiarivony, chef du clan hova Tsimiamboholahy, atteint ce sommet des honneurs. Les contrastes sociaux entre les riches hova et les pauvres, sont de plus en plus grands. Les premiers sont presque nantis de quelque commandement militaire qui leur confère le droit de réquisition, tandis que les seconds sont écrasés par la corvée et les impôts. « La condition d’un Hova pauvre est si dure que les esclaves- qui ne sont pas assujettis à la corvée hésitent à acheter, quand ils le peuvent, leur affranchissement. Des hommes libres s’enfuient dans la montagne et deviennent brigands (fahavalo) pour échapper à cette condition très misérable. » À la même époque, les valeurs occidentales pénètrent encore difficilement en Imerina. Le christianisme qui résiste aux persécutions de Ranavalona Ire, est encore peu répandu vers 1864. La liberté de culte autorisée par Radama II, deux ans plus tôt, donne aux missions, protestantes ou catholiques, de nouvelles possibilités. Les missionnaires, également enseignants, répandent avec le christianisme des conceptions occidentales. Leurs missions sont aussi des foyers de civilisation technique. « Le désir de se maintenir et la solidité des traditions les incitent pourtant à la prudence. » Ainsi, la lutte contre l’esclavage condamné par l’Église chrétienne, ne peut se faire ouvertement. Mais l’Imerina, en 1864, est le seul à profiter de cette action missionnaire car la plupart des écoles et des fondations sont situées à Antananarivo. Par contre, les notions occidentales du salaire et du traitement ne pénètrent pas dans la société malgache. La place que chacun occupe dans le clan, le Fokonolona, l’armée, comporte des droits et des travaux en échange. « Les honneurs et le commerce sont enrichissants, le travail forcé, les redevances en nature ou en argent frappent les pauvres. » Les auteurs de l’ouvrage sur l’ Histoire de Madagascar de 1967, indiquent que, malgré le contact des étrangers, les  Malgaches ne changent pas cette institution, vieille comme leur tradition politique. Le gouvernement, les gouverneurs et leurs adjoints, les hauts dignitaires, continuent de pourvoir aux besoins de l’État et des provinces par la corvée et la réquisition. « Il en résulte des intrigues, des luttes pour conquérir la confiance et la protection des puissants. » Le gouvernement et l’administration du royaume s’inspirent de l’apparat occidental. La Cour, de plus en plus inondée par les costumes européens, coûte toujours plus cher aux finances publiques. Au contact des étrangers, les grands personnages s’habillent à l’européenne. Mais le lamba demeure pourtant et les ambassadeurs en mission à l’étranger l’arborent avec fierté. Le contraste entre les villes et la campagne dénote cette évolution et permet de mieux mesurer sa lenteur. Les villes, à l’image de la capitale, prennent un aspect urbain nouveau : utilisation plus fréquente de la brique qui remplace le bois, emploi de tuiles d’argile, construction de varangues, etc. Fianarantsoa, notamment, imite Antana­narivo sur son Rova qui commande la route du Sud. Les ports où le bois est nombreux, adoptent plus rarement ces changements. La ville qui naît du poste militaire ou du comptoir commercial, devient dans une certaine mesure un foyer d’occidentalisation. Mais son influence est très limitée. Quant aux paysans, ils restent fermés aux conceptions nouvelles. « Pour eux, la ville reste le signe du Fanjakana.» Ils fréquentent le marché, mais fuient la corvée et conscription. D’ailleurs, l’occidentalisation des villes est plus apparente que réelle. « C’est dans les campagnes que beaucoup de nobles, privés du pouvoir par les riches Hova, vivent dans leur menakely (fief) au milieu de leurs esclaves et de leurs paysans, ils gardent la nostalgie du passé et sont généralement hostiles aux novations. »
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