Copie coulé


À n’importe quel moment et à n’importe quel endroit de la ville, l’esprit qui a bénéficié d’un minimum d’affutage ne peut échapper à l’expression d’un mal, au symptôme de la dégringolade culturelle quotidienne : l’omni­présence d’une pratique dont la base est l’état léthargique de l’intelligence. La paresse intellectuelle est visible dans les différentes copies que nous offrent les divers marchés. Précisons que les copies, ce sont ces faux originaux qui nous envahissent. Avez-vous déjà fait l’expérience suivante : vos tympans reçoivent un air qui appartient à une de vos chansons préférées. Instinctivement vous adoptez la posture de celui qui s’apprête à savourer quelques minutes de plaisir. Soudain vient un sentiment où se mêlent le désarroi et la pitié : la voix, qui n’est pas celle que vous attendiez, sort des paroles autres que celles de la chanson attendue. Trouver des cas de plagiat est un exercice facile. La créativité est une denrée rare ; l’imagination est stérile quand il s’agit de contribution esthétique. Beaucoup de nos produits (médiatiques, culturelles, artisanales,…) ne sont que des tentatives de reproduction de modèles existants. Des essais ratés pour la plupart. Rien de nouveau ne se crée, tout n’est que pâles copies. L’espace médiatique est saturé par les copies et les plagiats. Ainsi peut se voir la paralysie intellectuelle, la mise en veille de l’esprit. Comment expliquer cette hibernation de la créativité ? Nos repères identitaires ont été tellement malmenés, écrasés. Comme conséquence de l’épuisement spirituel engendré par ces violences d’un autre ordre, l’esprit lâche prise comme lorsqu’il est sous hypnose. Notre situation est alors semblable à celle de Mowgli à la merci du python Kaa (celui des studios Disney et non celui de Kipling qui n’est pas un antagoniste) qui s’apprête à le dévorer après l’avoir hypnotisé. L’entité de la réflexion et de la critique réduite au silence, on suit le premier venu qui devient facilement un modèle à copier car la conquête de notre cœur vulnérable, sans ce garde-fou appelé raison, est des plus aisées. Depuis, l’égarement est ce qui conditionne nos comportements. «  Le spectateur ne se sent chez lui nulle part, car le spectacle est partout. » (G. Debord, La société du spectacle, 1967) L’égarement, émanation de cette perte de repères qui nous pousse tantôt à droite tantôt à gauche, est visible quand, par exemple, on adopte par mimétisme, parce que portée par telle personnalité, une coiffure qu’on trouvait ringarde il y a encore quelques semaines. Pour entrer dans le moule, il faut toujours copier ce qui vient d’ailleurs et adopté par le grand nombre. Copier est alors obligatoire si on veut trouver dans le regard d’autrui l’acceptation. Comme le dit la conclusion de Huis-clos (J.-P. Sartre, 1944) : « L’enfer c’est les autres ». On copie l’art de l’autre, on s’habille comme l’autre sans rien connaitre de la dimension sémiotique immanente à l’accessoire ; on essaie, comme méthode propitiatoire, d’utiliser le style artistique de l’autre ou même de lui voler carrément son œuvre. Pendant qu’on dépense notre temps à prendre, à essayer de nous approprier la culture de l’autre, a-t-on déjà pensé au probable fort potentiel de la nôtre ? Quand on sait que la musique de Barijaona, piquée par le producteur de Franck Sinatra, est connue et appréciée dans le monde entier car elle est consubstantielle au tube planétaire Something stupid. On a la preuve que notre culture, pourtant sous-estimée, parfois même honnie par nous-mêmes, les dépositaires indignes, peut contribuer à notre rayonnement. Tant que le copie coulé (non ce n’est pas une coquille) régit notre routine, on continuera à tourner dans ce cercle vicieux sans jamais « sur l’océan des âges jeter l’ancre un seul jour ». Le coupable n’est pas l’action de copier : décoller depuis le modèle occidental a été le premier maillon de la chaîne de l’avancée économique du Japon de l’ère Meiji. Mais les Japonais n’ont pas été dépourvus de repères culturels. La culture japonaise s’exporte : les rayons du soleil levant illuminent les quatre coins du monde. Quant à nous, à force de tourner sans cesse comme des girouettes qui ne font que bouger au gré des caprices du vent, le venin de la crise identitaire ne cesse de se déverser. par Fenitra Ratefiarivony 
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