Pauvres et ignorants, mais libres ?


Tout le monde s’est scandalisé du projet chinois de suivre à la trace sa population d’un milliard d’hommes et de femmes. «Dictature numérique» entendit-on qualifier : preuve néanmoins que la Chine a réussi sa révolution industrielle, plus personne ne s’interrogeant si elle serait capable de fabriquer tout ce que l’Occident produit de plus technologique, mais s’inquiétant surtout comment elle en userait. Ficher sa population, savoir en temps réel ses va-et-vient, noter à chaque pas sa plus ou moins excellence citoyenne. Certainement que ce serait une entrave à la liberté. Suivre à la trace son milliard d’hommes, de femmes et d’enfants : seul un régime totalitaire, fasciste ou communiste, en peut nourrir l’idée. Un reportage montre une femme chinoise à la citoyenneté exemplaire. Elle bénéficie d’une gratuité sur les transports ou d’une remise sur les soins médicaux. Et là, dans un passage que tout le monde a oublié de noter, elle cite pêle-mêle toutes les activités qu’elle pourrait pratiquer gratuitement simplement parce qu’elle traverse consciencieusement dans les passages piétonniers et uniquement quand le feu est au vert piéton : bibliothèque, musée, cinéma. Chez «Big Brother», les citoyens peuvent donc aller à la bibliothèque, se rendre en visite au musée, ou s’amuser au cinéma. On espère que les livres de ces bibliothèques ne soient pas les rescapés d’une précédente mise à L’Index : petit Livre rouge de Mao, maximes éternelles de Confucius, témoignage managerial de ceux qui ont su profiter des contradictions internes de l’économie socialiste de marché. On leur espère également que les Musées leur content la Chine cinq fois millénaire plutôt que d’abonder en reliques de la «Longue Marche». Le cinéma, enfin, qui ne leur soit pas des films de propagande à la gloire en boucle du Grand Timonier. Les bibliothèques n’existent pas ou presque à Madagascar : si le partage indigné des infos sur le fichage du milliard de Chinois faisait foi, les Malgaches préféreraient notre pays sans livre ni édition à un pays hyper-connecté, chacun disposant d’une tablette, mais la connexion sévèrement filtrée empêchant d’apprendre sur le reste du monde. L’autre week-end de «journée internationale des musées», j’ai vu une foule cherchant à accéder au zoo de Tsimbazaza, mais personne ne songeant à faire ouvrir le musée de paléontologie : les gens préfèrent sans doute encore admirer vivants les makis en voie de disparition plutôt que défiler silencieusement devant les ossements fossiles des dinosaures éteints ou les corps taxidermisés de plusieurs espèces endémiques. Et les Malgaches voient sans doute leurs salles de cinéma transformées en tribune pour évangélistes, mais, quoiqu’inciviques, ils n’ont pas à craindre de devenir de mauvais citoyens à «zéro crédit» interdits de tout.
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