Bonheur anxieux à l’ONU


Alors, le 20 mars, plutôt journée internationale de la Francophonie ou journée mondiale du Bonheur ? L’ONU est sans doute devenue un tellement «Grand Machin» (comme raillait le général de Gaulle) qu’elle juxtapose deux journées en une seule. Sauf que le Bonheur a reçu une onction particulière : le très sérieux (166 pages à télécharger) «World Happiness Report» (Rapport mondial sur le bonheur) a été publié le lundi 20 mars 2023 à midi (heure de New York). J’ai parcouru ledit Rapport, et je n’y ai pas trouvé le Bhoutan. Deux occurrences, alors que le concept de «Gross National Happiness» avait été introduit par Jigme Thinley, Premier Ministre du Bhoutan. Il est où le Bhoutan, il est où ? Le Bhoutan, petit pays bouddhiste enclavé entre l’Inde et la Chine, a inventé le concept de Bonheur National Brut. Un pays qui a compris que faute de pétrole, il faut avoir des idées. Et qui a su en convaincre l’Assemblée général des Nations Unies, un 12 juillet 2012. Depuis, il y a un «Wellbeing Research Center» à Oxford et un «Wellbeing Programme» au London School of Economics. Le Rapport du Bonheur se base essentiellement sur les Gallup World Poll pour mesurer très exactement la très subjective notion de bien-être : Gallup, en a-t-on jamais entendu par chez nous ? «Ask a nationally-representative sample of people» : c’était quand, où, qui ? Un demi-siècle que je n’arrive pas à appartenir à un «échantillonreprésentatif»... Malgré mon scepticisme, je n’ai pas pu m’empêcher de chercher où se situait Madagascar dans cet improbable classement : à la 127e place, loin derrière Maurice (59e), presque ex-aequo avec Comores (130e). La France se situe au 21e rang : mais vit-on le même bonheur selon que l’on soit à Mayotte, à La Réunion ou à Paris ? On s’est accoutumé du bon classement inévitable des pays scandinaves, quel que soit le prisme : Finlande (1er), Danemark (2e), Islande (3e), Suède (6e), Norvège (7e). Israël (4e) et Pays-Bas (5e) s’intercalent. La Palestine arrive 99e... Que pense sa jeunesse, désireuse de libertés et réfractaire au voile islamique, de la 101e place de l’Iran ? Un semblant d’évidence pourrait légitimer le classement, avec la 137e et dernière place de l’Afghanistan : comment pourrait-il en être autrement depuis que les États-Unis y ont laissé la voie libre aux Talibans. Les auteurs du Rapport invoquent Aristote et son «eudaimonia» : la «chose» par excellence, le meilleur auquel puisse aspirer le genre humain. Et pour définir le Bonheur, même par l’absurde, les experts ont également placé Dystopia en mètre étalon : «no country performs more poorly than Dystopia». Si Utopia est le pays de nulle part mais tellement idéalement parfait, Dystopia serait l’endroit, tout aussi imaginaire, de tous les malheurs au comble du pire. Malgré tous les efforts de le théoriser, le Bonheur reste insaisissable. Même dans un pays comme Madagascar, un cas rare d’incommensurable gâchis depuis le fameux «un pays d’avenir qui le restera», le bonheur existe. Il y a des sourires et des regards qui en disent plus long que tous les faisceaux d’indicateurs. Le bonheur EST, sans qu’il faille l’interroger. Ils vont nous le démantibuler à trop ausculter ses rouages. Ingrédients volatiles, et qui doivent le rester, d’une alchimie du mystère. Refus de tout systématiquement connaître, disséquer, étiqueter. Parce que le bonheur n’est jamais plus assurément que quand on ne s’inquiète pas à son propos.
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