Protectorat ou annexion après une expédition globale


«À peine signé, le traité franco-malgache de 1885 est vivement critiqué en France », écrit Yves-Georges Paillard (revue historique Hier et Aujourd’hui du second semestre 1979). Selon lui, une partie de la presse, des milieux politiques, économiques, militaires, des porte-parole des intérêts réunionnais, se disent « convaincus qu’il faudra bientôt imposer à la souveraine de Tananarive et à son Premier ministre une domination plus effective, même au prix d’une nouvelle guerre ». Ce qui explique la multiplication des études sur la géographie, l’armée, le gouvernement, l’administration, les possibilités économiques de Madagascar. « Études facilitées par la situation privilégiée dont bénéficient les Français à Madagascar depuis 1885. » C’est ainsi que les récits de voyage et les « itinéraires » prolifèrent, « certains publiés, beaucoup conservés dans des dossiers confidentiels ». Les services de renseignements de l’Armée et de la Marine sont particulièrement actifs dans cette vaste enquête préparatoire à une expédition globale. Après la convention franco-anglaise de 1890 et l’adhésion allemande à cet accord, les recherches se font de plus en plus précises. Y.-G. Paillard signale plus précisément les « Observations sur les conditions d’exécution éventuelle d’une expédition à Madagascar », qui « constituent un des éléments les plus intéressants ». C’est une volumineuse étude, confidentielle, datée de février-mars 1894, réalisée par le colonel de Torcy à la demande du chef de l’État-major général de l’armée française, le général de Boisdeffre, et « sans doute » du ministre de la Guerre. En fait, De Torcy se contente de coordonner et de signer les réflexions d’un groupe d’officiers de plusieurs armes, « dont aucun ne connait d’ailleurs personnellement Madagascar. Mais ils se sont abondamment documentés et déclarent avoir l’expérience… de l’Extrême-Orient ». De Torcy, promu général entretemps, participera à l’expédition de 1895 comme chef d’État-major du corps d’occupation. D’après Y.-G. Paillard, le texte qui en résulte déborde largement les perspectives militaires. Il comprend six parties. La première parle de la situation politique de la France à Madagascar. C’est une récapitulation des raisons de la future intervention française. « Parmi ces raisons, remarquons les obligations de protection… envers les ressortissants britanniques et allemands à Madagascar, obligations conférées en quelque sorte par les conventions de 1890 avec Londres et Berlin. » Dans la partie « Résumé de géographie militaire », on recommande de « ne pas sous-estimer les capacités de l’Armée merina ». Le chapitre suivant donne un chiffrage précis de la Constitution du corps expéditionnaire. Au total, 20 000 hommes environ, plus de 13 000 coolies et 2 800 chevaux et mulets. L’expédition ne comprendra finalement que 14 773 hommes de troupe et 658 officiers, ainsi que 8 000 animaux. Mais plus de 3 000 hommes seront envoyés en renfort après le début des opérations. Concernant le programme des opérations, il est recommandé, pour atteindre la capitale, la route de l’Ouest par Mahajanga. Ce chapitre étudie aussi la saison souhaitable pour l’entreprise, du 1er avril à fin mai, surtout pour des raisons sanitaires « l’équipe de rédaction du texte comprend un médecin-major ». Pour attaquer Antananarivo, il est suggéré de contourner la ville par le Nord et surtout l’Est, car on craint « une sérieuse résistance ». La cinquième partie de l’étude parle d’une réorganisation politique éventuelle. Abordant le statut réservé à l’ile et à ses diverses populations après la conquête, les auteurs disent s’inspirer des leçons données par les Anglais aux Indes, bien qu’ils reconnaissent des différences fondamentales entre les Indes et Mada­gascar. Ils repoussent « les solutions simples » comme l’annexion ou le protectorat, alors que « les partisans de chacune de ces deux options s’affrontent à Paris ». Ils proposent de trouver une combinaison mixte « susceptible de mieux se plier au temps, aux lieux et aux circonstances ». Car l’annexion imposerait des charges financières très supérieures aux résultats à en espérer. Et si un protectorat effectif est bien économique, il aurait pour première conséquence d’obliger les forces françaises « à imposer encore la domination de la reine merina dans toute l’ile, alors que sa suzeraineté n’est vraiment acceptée que dans un tiers du pays ». En somme, « il faudrait alors soutenir d’une façon durable le gouvernement de Tananarive foncièrement et insidieusement hostile aux Français ». Bref, dans la dernière partie, les auteurs, après s’être demandé si, « après tout, l’expédition en vaut la peine », Madagascar n’étant pas l’Eldorado tant vanté par certains écrivains d’imagination, il ne faut pas temporiser avant de passer à l’action, « la conjoncture internationale étant favorable ».
Plus récente Plus ancienne