Une main-d’œuvre rare à cause d’un bas salaire


C’est dans la construction du chemin de fer Tananarive-Antsirabe, initié par le gouverneur général Albert Picquié (janvier 1910-aout 1914) qu’apparait de manière cruciale la crise de main-d’œuvre ferroviaire TA (1911-1923)», annonce Jean Fremigacci, dans la revue d’études historiques, Hier et Aujourd’hui, N°1-2 de 1975. Avant même que l’étude du projet ne soit lancée, les administrateurs de la province du Vaki­nankaratra émettent des affirmations optimistes. Ces derniers soutiennent que, dans la province d’Antananarivo, la main-d’œuvre est si abondante qu’une partie des travailleurs doit s’expatrier. Et à Antsirabe, terminus de la ligne ferroviaire TA, elle est « bonne, abondante et bon marché ». Mais, indique Jean Fremigacci, ces affirmations masquent certains aspects de la réalité. En effet, explique l’auteur de l’étude, à l’époque, la population du Vakinankaratra proprement dit, c’est-à-dire des districts d’Antsirabe et de Betafo, n’est pas aussi maniable que l’administrateur Delpit veut le faire croire. Elle est, par tradition, d’une humeur indépendante, héritage des modalités de peuplement de la région qui, jusqu’au XIXe siècle, joue le rôle de zone-refuge. Il suffit de lire un rapport du prédécesseur de cet administrateur qui évoque « péjorativement », « ces anciens esclaves ou descendants d’individus mal famés (sic) que les anciens rois de l’Imerina envoyaient dans ces régions pour y faire souche ». D’après Jean Fremigacci, contrairement à sa voisine d’Ambatolampy, cette population a une tendance à éviter tout contact avec les autorités et, pour échapper à l’impôt, se refugie dans la montagne et l’Ouest désert de la province. Pour ce qui est des anciens esclaves qui ne fuient pas, ils restent très attachés à leurs anciens maitres par « des liens qui ne sont pas de nature économique ». Les administrateurs s’étonnent ainsi en constatant une réalité. « Alors que les colons européens ont du mal à trouver des employés réguliers, les propriétaires indigènes recrutent très facilement des individus qui s’engagent moyennant le salaire de famine. » Le chef de province du Vakinankaratra, Béréni, voit dans cette situation « une dérogation, à la loi de l’offre et de la demande » qu’il attribue à « l’insuffisance des besoins de la majorité ». Quant aux paysans libres des communautés villageoises, le salariat ne saurait leur apporter qu’un « complément de ressources». Cette main-d’œuvre est saisonnière et fait défaut à l’époque des travaux agricoles. C’est une nécessité absolue pour eux car le niveau des salaires qu’ils reçoivent permet de payer « difficilement » l’impôt, mais pas du tout de vivre. « Le salarié reste un paysan qui vit en auto­subsistance. » Cette crise de main-d’œuvre se produit égaiement à cause de la conjoncture. En 1912-1914, l’essor agricole et surtout minier se poursuit. Le boom sur le graphite provoque « un recrutement de plus en plus difficile ». Dans le Vakinankaratra, les salaires augmentent d’un tiers dans le graphite, celui des repiqueuses de riz se multiplie même par quatre. Les charrois absorbent une main-d’œuvre de plus en plus abondante. « Au point que les transporteurs doivent engager de jeunes enfants », tandis que le recrutement de terrassiers se fait avec difficulté pour les entreprises privées. « La réponse rituelle du gouverneur général, en pareil cas, consiste à affirmer la nécessité du recours à un outillage perfectionné, conseil qui n’est jamais suivi d’effet. » Et ajoute Jean Fremigacci, « les progrès de l’économie marchande après 1914, ne créèrent nullement les conditions favorables au salariat ». Cependant, en 1914, Albert Picquié décide de poursuivre la construction du TA et transmet à Paris, le projet. Beaucoup plus timoré, le ministre se retranche derrière « la hausse des coûts dus aux circonstances » pour retarder le décret d’autorisation. Il faut une intervention énergique de son successeur, Hubert Garbit (aout 1914-septembre 1917) pour l’arracher en novembre 1915. Mais c’est surtout à partir de cette année, que l’on voit apparaitre la crise de main-d’œuvre qui ralentit les simples travaux de terrassement. Le chef du service de la construction du TA, Jaquet, qui doit achever en régie le troisième lot des travaux, porte le problème devant les autorités de la Colonie en septembre 1916. Autrement dit, il lance un appel à la « persuasion administrative », procédure redoutable par son imprécision même, fait remarquer Jean Fremigacci.
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