Fram, frime


Le ministre de l'Éducation nationale n'est pas peu fier de sa réussite. Dix mille enseignants Fram , autrement dit sans qualification ni spécialisation, par an depuis trois ans et jusqu'en 2020, soit au total soixante dix mille d'ici la fin de l'opération. L'exploit vaut bien, évidemment, une cérémonie grandiose à l'américaine où les nouvelles recrues reçoivent leur contrat. À un an de la présidentielle, il ne fallait surtout pas se priver d'une excellente opération de communication pour mettre en évidence cette réalisation. Le ministre a la chance d'arriver à point nommé à un moment où la Banque mondiale, en particulier, qui finance l'opération, et les bailleurs de fonds, en général, rattrapent le temps perdu et les erreurs du passé. Il fut un temps où ils ont gelé l'effectif des fonctionnaires, dont le nombre (quatre cent mille) n'est pas aussi important que cela, pendant longtemps faute de budget. Mais ils ont laissé les institutions ,aussi inutiles que budgétivores, mener une vie de pacha à trois queues. Aujourd'hui, il y a plus d'enseignants que d'élèves dans certaines localités où tous ceux qui ont pu réussir leur Cepe ont été recrutés, moyennant une formation sommaire. En terme de création d'emploi, aucun ministre, aucun régime n'a pu faire mieux même si c'est encore très loin du rêve de Manandafy Rakotonirina qui avait promis deux cent mille emplois par an lors de la présidentielle de 1989 où il avait tenu tête à Ratsiraka à... Tana. Un chiffre réaliste quand on sait qu'il y a quarante mille bacheliers par an, le triple au niveau BEPC et dont la moitié n'aura pas accès aux universités faute de place et finira peut-être maître Fram. Eh oui, autant l'initiative de recruter des enseignants est méritoire, autant les critères de recrutement laissent à désirer étant donné que l'ancienneté vaut ici compétence. Il est de l'éducation comme il est du foncier. C'est, d'ailleurs, le seul et principal argument des concernés lorsqu'ils ont manifesté dans la rue pour réclamer leur recrutement. On se soucie donc peu ou prou, des qualités pédagogiques des nouvelles recrues mais on se fie aux règles de recrutement dans la fonction publique en enrôlant des enseignants ayant dépassé le demi-siècle alors que la limite est fixée à 45 ans. Cela peut créer une jurisprudence dans les autres départements de la fonction publique. Le drame est indéniablement les conséquences néfastes de ce recrutement de «tout venant» au niveau des élèves, du moins ceux qui sont condamnés à fréquenter les écoles publiques. Pour s'en convaincre, il suffit de voir l'effritement du taux de réussite aux examens depuis quatre ans à tous les niveaux, en l'occurrence Cepe, Bepc et baccalauréat. On veut bien admettre que les sujets ont été plus corsés par rapport aux années précédentes où le taux de réussite était une grandeur directement proportionnelle au score électoral, pour privilégier la qualité à la quantité, mais quand on échoue lamentablement dans des sujets où il fallait soustraire ou additionner, il y a de quoi s'alarmer. La Banque mondiale était, d'ailleurs, la première à donner l'alerte en signalant l'incompétence de certains enseignants incapables d'effectuer une division avec des décimaux. On se demande si on n'est pas en train de se fourvoyer de nouveau dans un cul-de-sac, plusieurs années après le cinglant échec de la malgachisation insufflée par la «révolution culturelle» de 1972. Avec l'application au forceps, financement des bailleurs oblige, du Plan sectoriel de l'éducation, qui est loin de faire l'unanimité rien qu'avec le calendrier scolaire, on part dans l'inconnu, dans une nouvelle aventure dont on ne connaît pas l'issue. On craint fort de se voir attribuer un tableau... d'horreur à la fin de l'année scolaire. Par Sylvain Ranjalahy
Plus récente Plus ancienne