Crise de main-d’œuvre à cause de l’esclavage


Si les Créoles et les Européens de la côté Est emploient, dans leurs plantations, dès les années 1820, les charrettes à roues, les Malgaches, eux, ne commencent à les utiliser qu’à partir des dernières années du XIXe siècle. Les premières roues sont destinées aux traineaux, autrefois tirés par d’importantes équipes de travailleurs. « De tels charrois servaient traditionnellement au transport de grandes plaques de pierre nécessaires à la construction des tombeaux. » Dans son étude, Gwyn Campbell (lire précédente Note), précise qu’il est généralement admis que la fabrication des premiers chars à roue dans la Grande ile, revient à Lambros. Ces véhicules servent alors au transport de la canne à sucre, sur les bords de la rivière de Mananjary dans les années 1820. « Le régime merina ne manifeste qu’épisodiquement de l’intérêt pour le problème du transport, sur terre et sur mer, aussi rien ne fut-il réalisé. » Mais en fait, poursuit l’auteure de l’étude sur « Les problèmes de main-d’œuvre et de transport à Madagascar au XIXe siècle (1810-1895) », le plus important obstacle à l’amélioration des moyens de transport et des voies de communication tient à l’organisation même de la main-d’œuvre dans l’empire merina. « L’insuffisance de la main-d’œuvre a toujours mis l’économie merina en situation de crise et favorisé la naissance précoce et le développement de la traite à l’intérieur de l’ile. » Trafic menacé par l’essor du commerce avec l’étranger, fondé sur l’exploitation d’esclaves. Des razzias s’organisent pour capturer des Malgaches réduits ensuite en esclavage. La crise de la main-d’œuvre atteint son paroxysme au XIXe siècle, en raison de la vive concurrence pour obtenir des esclaves ou des engagés de Madagascar et de l’Afrique de l’Est. « Cette demande vint tant des propriétaires de plantations de La Réunion et de Maurice que de l’État impérial merina. » Toujours d’après Gwyn Campbell, l’économie des Mascareignes (qui comprennent ces deux iles) et celle de l’Imerina impérial dépendent ainsi étroitement de l’approvisionnement en main-d’œuvre à bon marché. « Le manque de capital dans cette partie du monde a rendu à la fois très difficile et hasardeux l’investissement en machines ou en véhicules. » De plus, les propriétaires d’esclaves gagnent d’énormes profits par leur recours à une main-d’œuvre non salariée, qui constitue la partie la plus importante de leur capital privé. « Tout cela ne fit qu’accentuer un conservatisme naturel qui renforça les propriétaires d’esclaves dans leur opposition à tout changement. Ils s’obstinèrent plus encore à ne recourir qu’au travail servile. » Et au contraire de la situation en Afrique de l’Ouest à la même époque, aucun groupe d’entrepreneurs autochtones, capables de contrôler le nouveau commerce légal franco- malgache en 1882, n’émerge. « Dès le début des hostilités franco-malgaches en 1882, l’éventualité d’un changement s’est avérée minime et le système en vigueur prit un aspect encore plus rigide. » Aussi, d’une part, la dépendance totale vis-à-vis d’une main-d’œuvre forcée caractérise-t-elle l’économie impériale merina. D’autre part, les conséquences de l’absence de développement d’un réseau de transport et de communication s’aggravent quand la Grande ile est entrainée dans l’expansion rapide du commerce international au XIXe siècle. Avant cette époque, la plupart des porteurs sont originaires des régions côtières, engagées pendant la morte–saison dans des travaux agricoles. Engagement qui se fait individuellement et sans organisation. En revanche, le transport des marchandises est mieux organisé avec l’apparition d’un cadre de porteurs spécialisés. « Ainsi, certains groupes comme les Antankay de la région du Mangoro ou les Antanosy de l’arrière-pays de Taolagnaro, se livraient au portage. » Ils s’engagent pour de longues périodes et pour les trajets les plus divers, mais une fois le travail achevé, ils reviennent toujours dans leur région d’origine, munis de leurs gages. « À la différence des porteurs de l’Afrique de l’Est, ces Malgaches n’étaient pas des spécialistes, car ils acceptaient n’importe quelle tâche. » Ainsi, ce sont les esclaves ou les travailleurs forcés qui constituent les vrais spécialistes du portage dans l’économie du royaume merina. En Afrique de l’Est, la plupart des porteurs sont des volontaires, la main-d’œuvre servile étant réservée aux tâches domestiques ou au travail des plantations de la côte.
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