Une religion d’État s’effondre


À l’arrivée des colonisateurs français à Madagascar, les missionnaires protestants déplorent que leur situation périclite. Un chroniqueur français explique cet état de chose par « l’impartialité et la libéralité » du général Joseph Gallieni, qui ne peut accepter de favoriser une unique confession ou religion. Le journaliste français- qui tient à son anonymat- conclut, de ce fait, à l’effondrement du protestantisme à Madagascar. Les raisons d’existence de cette confession en tant que religion d’État, doivent être cherchées dans les motifs qui poussent le Premier ministre Rainilaiarivony à entrainer la reine, Ranavalona II, à la conversion chrétienne et son choix pour cette confession. C’est du moins ce qu’indique le chroniqueur. En effet, deux ans plus tôt, la souveraine, alors Rasoherimanjaka, suit encore la religion traditionnelle. Et si elle se convertit au catholicisme, sous l’influence de Jean Laborde qui lui donne in extremis l’extrême-onction en avril 1868, « c’était sur son lit de mort et sans doute inconsciente ». En décembre de la même année, Rainilaiarivony forme l’Église d’État et, en février 1869, Ranavalona II et lui-même sont baptisés par les missionnaires méthodistes. Aussi, estime le chroniqueur français, le Premier ministre Rainilaiarivony est-il le seul promoteur de la religion d’État à Madagascar, « constitué à son profit ». Selon lui, il n’y a pas de conversion de la masse, mais simplement obéissance à un ordre. « Remarquablement montée avec tous ses rouages de pasteurs, de prédicants tous instituteurs, la machine a fonctionné tant que le grand ressort a subsisté. » Mais « brusquement la détente s’est produite et tous les engrenages se sont séparés ». Car auparavant, en voulant faire croire à la vitalité de leur institution, les protestants anglais ne cessent de présenter en Europe, leurs prosélytes comme de parfaits chrétiens. De leur côté, les protestants français prennent toutes leurs déclarations pour argent comptant et viennent dans la capitale comptant y trouver la foi et le zèle religieux. « La condescendance coupable du résident général qui avait consenti à se transformer en Premier ministre, chef d’Église, avait pu les confirmer un instant dans cette illusion. » Rappelé en France en 1896, au bout d’un séjour de quelques mois en terre malgache, Hippolyte Laroche, « cet ineffable fonctionnaire », ne laisse derrière lui que « des débris qu’une main officielle pouvait seule reconstituer ». Premier résident général français à Madagascar après la conquête de 1895, Hippolyte Laroche arrive à Antananarivo, en janvier 1896, et est remplacé en septembre de la même année par le général Gallieni. Selon Régis Rajemisa-Raolison, « bon humain et courtois, il rendit à la reine vaincue tous les honneurs qui lui étaient dus ». Se faisant son avocat, l’auteur argumente que ce n’est ni à sa maladresse ni à son optimisme qu’il faudrait attribuer la cause ou même l’extension de l’insurrection «des Menalamba » qui éclate en mars 1896, mais à « un soubresaut et à un ressentiment instinctif d’éléments hova au patriotisme ardent ». Régis Rajemisa-Raolison ajoute qu’une « pacification faite sous le signe de la bonté comme celle de Laroche » aurait sans doute triomphé du mouvement, d’une façon moins irritante que la méthode ultérieure qui, créant des plaies et des rancœurs profondes, n’est pas sans rappeler aux Malgaches la cruauté de certains anciens monarques. De plus, on lui reproche son penchant humanitariste lorsqu’il lance un appel aux Trappistes d’Algérie pour fonder un de leurs célèbres établissements agricoles, mais il ne reçoit pas l’agrément de la Métropole ; ou, surtout, quand il abolit l’esclavage dans la Grande ile qu’il décrète le 26 aout 1896, le jour même où il remet ses pouvoirs à Gallieni. Mais revenant au journaliste français pour qui la colonie naissante qu’est Madagascar n’a pas besoin d’une religion officielle, pas plus qu’il ne lui faut d’anticléricalisme ou de franc-maçonnerie. L’important d’après lui, est que le pouvoir, c’est-à-dire, le représentant de la France « soit aussi bon et libéral pour tous ». « Dans ces conditions, l’indigène réellement convaincu- et il y en a peut-être quelques-uns- suivra les pratiques de la religion qu’il aura adoptée et ceux qui voudront se convertir le feront librement. Si la religion catholique fait plus de prosélytes, elle le devra à la situation amoindrie qu’elle occupait jadis alors que tout bon Malgache devait, pour bien penser et surtout pour être bien vu par les autorités, être protestant ou anglican. »
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