Pas à vendre !


Imagine-t-on accaparer et vendre le jardin d’Antaninarenina ? Imagine-t-on accaparer et vendre le parc d’Ambohijatovo ? Imagine-t-on accaparer et vendre le Lac Anosy et ses rives ? Imagine-t-on accaparer et vendre Antanimbarinandriana ? Imagine-t-on accaparer et vendre le parc de Tsimbazaza ? Imagine-t-on accaparer et vendre l’esplanade très historique d’Andohalo ? Si le n’importe quoi devait être permis, pourquoi ne pas imaginer accaparer et vendre le Rova ! Cette litanie est sur le point de s’accomplir. Depuis que le sursis à exécution a été refusé à la Ville d’Antananarivo (CUA) et à l’ORTANA contre le jugement (4 octobre 2018) reconnaissant la propriété d’une demanderesse sur le jardin d’Antaninarenina. Techniquement, et manu militari, dès demain, une partie de la parcelle dite «Marché du Zoma», pourrait voir débarquer des bulldozers qui effaceront un jardin public vieux de 120 ans. Nous flirtons désormais dangereusement avec la barbarie, pourtant, au nom d’une certaine idée de la civilisation, nous croyons encore pouvoir en appeler au bon sens, au patriotisme, au sens du bien commun (cf. Chronique VANF, «En lisière de la civilisation : au-delà, la barbarie», 14 février 2019). Et donc, puisque ni le bon sens, ni le patriotisme, ni la certaine idée du bien commun, n’ont suffi, c’est aux Tananariviens de défendre leur bien. Les souvenirs que j’ai gardés de mes années de droit, sont souvent associés à des locutions latines. Ainsi de celle-ci, DE JURE : «En premier lieu, elle se rapporte aux nullités. La nullité est dite de droit lorsqu’aucun pouvoir d’appréciation n’est laissé au juge et qu’il suffit d’établir les circonstances d’où dérivent nécessairement l’annulation pour que celle-ci soit prononcée». Ou de celle-là, EX TUNC : «Exprime la rétroactivité. L’exemple type en est la nullité : le jugement qui la prononce rétroagit au jour du contrat puisque l’acte était atteint d’un vice originel qui postule son entière disparition, même dans le passé». Le jardin d’Antaninarenina porte justement le nom de «Marché du Zoma» parce qu’avant son établissement sur l’esplanade d’Analakely, le «tsena» hebdomadaire se tenait ici. Le Tantara ny Andriana (TA), recueil des traditions orales compilées par le Jésuite François Callet (qui séjourna en Imerina du 14 août 1864 au 30 mai 1883), en a retenu la mémoire : «Radama voulut édifier des maisons à Fiadanana et à Ankadimbahoaka, deux collines pas trop élevées que Radama fit terrasser pour installer Soanierana. Le marché du vendredi s’y tenait à l’époque d’Andrianampoinimerina et Radama le déplaça à Antaninarenina pour installer sa maison appelée Soa-Nierana, après qu’il obtint l’assentiment du peuple» (TA, 1110). Zoma donc depuis 1828, «Place Colbert» sous la colonisation, «Place de l’indépendance» depuis soixante ans : personne, jamais, n’avait osé s’en revendiquer propriétaire. Seul un fou aurait imaginé qu’on puisse jamais s’approprier une chose que les juristes qualifient d’inaliénable et imprescriptible. Sur toutes les photos, depuis l’époque de Gallieni (qui quitta définitivement Antananarivo le 15 mai 1905), un lieu collectif, de promenade, de rencontres, de repos. La «vente» du 5 juin 1998 est donc proprement impensable, et tout aussi absurdes les prétentions à réclamer un «abusus» pas plus vieux qu’une prescription acquisitive, qui, elle, suppose la bonne foi (fraus omnia corrumpit) et certainement pas sur le domaine public. C’est au début de la période coloniale que le «Marché du Zoma» sera une nouvelle fois déplacé au bas de l’escalier dit De Lastelle, lequel faisait face à l’escalier Lambert sur la colline de Faravohitra. C’est cette esplanade d’Analakely qui fut charnellement l’Anjoma, pendant un siècle. Je me demande, après avoir salué la suppression, en 1997, d’un «Zoma» devenu anarchiquement tentaculaire, si, pour pas que des associations de malfaiteurs jettent leur dévolu sur le moindre mètre carré, il ne faut pas restaurer sur le domaine public une autre forme de Zoma : clin d’oeil à l’histoire d’Antananarivo qu’accompagna l’institution de ce marché, agora dont la forme contemporaine reste à imaginer, démonstration que la «vie» et l’ordre peuvent cohabiter dans la citadinité moderne. La Mairie d’Antananarivo a enfin (17 février 2019) protesté par un communiqué : «La Mairie de la Capitale s’érige contre la vente du Jardin d’Antaninarenina qu’elle considère comme un patrimoine historique et culturel de la Ville et va prendre les mesures appropriées pour que cette place abritant la stèle de Philibert Tsiranana, père de l’indépendance, continue de demeurer dans le domaine public». Mais, parce qu’il y aura toujours des édiles vénaux, irresponsables ou stupides, et pour que le ramdam à Antananarivo puisse dissuader un autre oukaze à Fianarantsoa, à Antsirabe, ou partout ailleurs dans l’île, il faut que les ministères dits de souveraineté se solidarisent du combat contre ce scandale. Que les ministres de l’Intérieur, de la Défense, de la Justice, des Finances, de l’Aménagement, marquent une bonne fois pour toutes l’impossibilité future, et l’annulation rétroactive de tout délit similaire. Non, Anosy, Mahazoarivo, Mandroseza, Itasy, Alaotra, ne sont pas à vendre. Non le «bord», à Majunga ou Toamasina ne sont pas à vendre. Non, Manjakamiadana, n’est pas à vendre. Non, notre âme n’est pas à vendre.
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