« Cette maison nous rappelle une construction de France »


Rien ne prédispose Anthony Jully à la vie coloniale. Après son diplôme d’architecte à l’École des Beaux-arts de Paris, il ne songe pas à s’expatrier, quand il se voit proposer par le ministère des Affaires étrangères, de se rendre à Madagascar pour y édifier un palais destiné à l’habitation des Résidents généraux. Ceci se passe en 1888, près de dix ans avant la conquête, en pleine période de rivalité franco-anglaise. Jully accepte. Quand il arrive à Antananarivo en 1889, Le Myre de Vilers est alors depuis un an, résident général, et son autorité auprès de la Ranavalona III est fortement battue en brèche par l’influence britannique. « La reine occupait, au sommet de Tananarive, le Palais du Rova dont la masse imposante dominait toute la ville. Le résident général devait, bien en contrebas, se contenter d’une demeure incomparablement plus modeste. La construction d’une résidence digne du représentant de la France s’imposait », écrit Raymond Decary (Bulletin de Madagascar, octobre 1967). Jully se met à l’œuvre dès son arrivée. L’emplacement choisi est un vaste terrain dans le quartier d’Antaninarenina qui appartient alors au Premier ministre à qui il est déjà loué. Une caserne et deux pavillons y sont construits, inaugurés en 1887, mais une grande superficie demeure libre pour la résidence et le parc qui l’agrémenterait. Pourtant, tout manque pour un bâtiment d’une telle importance et Jully se trouve presque seul devant cette tâche énorme. Pas de matériaux, pas de main-d’œuvre qualifiée : « Il fallait couper les bois et les amener de la forêt lointaine trainés par les bœufs, il fallait tailler les pierres, construire les fours et instruire les ouvriers en tous genres qui faisaient défaut. » D’après Raymond Decary, son opiniâtreté surmonte toutes les difficultés et, le 14 juillet 1892, la résidence est inaugurée. Ce même édifice qui n’a subi depuis aucune modification de détail, est encore occupé par le haut-représentant de la France jusqu’en 1972, pour devenir l’un des Palais présidentiels jusqu’à maintenant, celui d’Ambohitsorohitra. Jully qui se considère comme un novateur, écrit alors au sujet des styles d’architecture de Madagascar : « Des architectures diverses, gothique, bâtarde, classique, hindoue, jetées en pâture à l’indigène, est sorti un chaos sans caractère… Voilà pourquoi, en construisant l’Hôtel de la résidence de France, nous n’avons cherché qu’un résultat : faire de l’architecture française, tant dans la manifestation extérieure que dans l’aménagement intérieur. La période de notre histoire qui caractérise le mieux notre art étant la Renaissance, c’est dans les œuvres de cette époque que nous avons cherché nos documents, en essayant d’inspirer aux indigènes, dans les formes comme dans les détails, l’idée française. Aussi notre plus grande joie est-elle d’entendre dire : cette maison nous rappelle une construction de France. » Pour Raymond Decary, un tel édifice représente à l’époque « une incontestable réussite ». Le ministère des Affaires étrangères donne alors à son réalisateur le titre d’Architecte des résidences, tandis que le gouvernement malgache reconnait la valeur personnelle de Jully et l’appointe dans les fonctions d’Ingénieur-conseil de la Cour. Il est ainsi au double service du résident de France et de la Reine de Mada­gascar. Cette position, bien que délicate, lui permet de jouer un rôle utile lors des difficultés politiques qui précèdent l’expédition de 1895. « Quand les relations diplomatiques furent rompues, Jully se fit mobiliser comme lieutenant de réserve dans le corps expéditionnaire et participe aux neuf mois de campagne que représente la pénible montée des troupes françaises. » Sa conduite lui vaut le ruban de la Légion d’honneur et une fois la paix revenue, il est intégré dans les cadres de l’Administration coloniale comme directeur des bâtiments civils. Plus tard, le général Gallieni lui ouvre une École professionnelle à Antananarivo où il compte parmi les professeurs. En même temps dans cette ville où toutes les choses sont à faire, il multiplie les constructions administratives. Il en est de même à Toamasina, Antsirabe, Moramanga…
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