Petites mains au service des patrons


De 5h du matin à 22h, le soir, tous les jours. Une maigre compensation qui oscille entre 30.000 Ar/mensuels et 60.000Ar. Aucune couverture sociale, évidemment. Un travail qui peut être tout et n'importe quoi, n'importe quand : assurer le ménage quotidien de la maison, faire la cuisine, la lessive et le repassage, prendre soin des enfants et des petites besognes comme les conduire et les récupérer à l'école, être au service de tout le monde dans la famille etc. Le dimanche, aller à la messe avec ses patrons, inventive combinaison entre prendre soin de l'âme et du marmot qui braille entre le sermon et l'obole. Parfois, ils sont très jeunes, à un âge où ils doivent encore aller au lycée et obtenir un diplôme. Mais la misère, aveugle, tire sur tout ce qui est vulnérable : les parents se voient confrontés à l'indicible dilemme d'envoyer leurs enfants travailler pour la survie de toute la maisonnée. Pour un salaire aussi modeste, l'employeur n'a pas grand-chose à perdre : il paie peu pour avoir sous la main, quelqu'un qui fait tout. Les familles malgaches les appellent pudiquement des «mpanampy» (aides), selon un alibi très confortable qui consiste à faire croire qu'ils ne sont là que pour «aider», puisque la famille fait déjà «l'essentiel». Parfois, on les qualifie de «ankizy», enfant, comme s'ils appartenaient réellement à la fratrie de la maison où ils travaillent et comme s'ils étaient encore des «enfants», malgré un travail d'adulte qu'on leur confie. Beaucoup se sentent rassurés de leur donner gîte et couvert : leur salaire, dit-on, leur sert alors d'argent de poche ou d'épargne puisqu'ils ne paient pas pour leurs besoins quotidiens. Certains s'en trouvent même offusqués d'entendre des gens qualifier ces jeunes hommes et femmes de ménages de «mpiasa», employés, comme si le fait de les nommer par le statut qu'ils occupent était un signe d'exploitation...Mais contrairement à ces appellations réductrices, «mpiasa» est le terme idoine puisqu'ils travaillent, ils donnent de leur temps pour exécuter des tâches contre un salaire. Ce n'est pas «une faveur», ni du patron à son employé, ni de l'employé à son patron. Ce dernier, d'ailleurs, n'entend pas du tout être rationnel sur le temps consacré au travail et sur le salaire : il est carrément impossible au patron malgache de penser que s'il ne dispose que d'un modeste budget de 30.000 Ar mensuels pour le salaire d'un employé, alors il ne devrait pas exiger un travail à plein temps - d'ailleurs un plein temps élastique qui ne comptabilise ni les heures supplémentaires, ni la nature inappropriée de certaines tâches. Très peu donnent l'opportunité à ces employés de l'ombre, d'améliorer leurs conditions de vie : apprendre à lire et à écrire, apprendre une langue, se former sur quelques spécialités... N'est-ce pas commode, de payer si peu pour des services qui n'ont aucune limite, sans devoir penser à l'avenir de ces si jeunes «mpanampy» qui servent sans jamais pouvoir espérer améliorer leur sort ? Pas d'école, pas de formations, pas de diplômes, pas de débouchés, voués éternellement à servir autrui pour des salaires éternellement minables. Ils sont aujourd'hui les plus vulnérables, parce que leurs parents le sont, leurs grands-parents le sont et, dans pays où les plus pauvres sont toujours appauvris, avec toutes les chances d'avoir une descendance aussi vulnérable qu'eux-mêmes. Prendre un employé à son service, c'est avoir une responsabilité à son égard. Le travail ne consiste pas seulement à effectuer une liste de tâches et recevoir un salaire, mais aussi contribuer à épanouir l'être humain. C'est une vision très idéaliste, certes. En tout cas, pas aussi utopiste que l'idée de croire qu'on aide les gens en leur versant 30.000 Ar pour profiter de leur entière existence parce qu'ils ont la malchance de n'avoir pas le choix. C'était simplement un point de vue, en passant, en voyant toutes ces bonnes âmes s'offusquer de l'esclavage moderne, hors des frontières malgaches. Comme si nous n'étions pas concernés. Par Mialisoa Randriamampianina
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