Des journaux pour contrer le gouvernement colonial


La leçon que Jean Ralaimongo, comme d’autres soldats malgaches, tirent de la Grande guerre, est la découverte de la véritable France. Il fonde alors dans la Métropole la « Ligue française pour l’accession des indigènes de Madagascar aux droits des citoyens français » dans cette optique. Puis, après une campagne en faveur des condamnés de la Vy-Vato-Sakelika, il décide de retourner définitivement au pays (lire précédente Note). Comme l’écrivent les auteurs du livre d’Histoire de Madagascar destiné aux lycéens, très vite ses démarches pour le développement de la Ligue, le désignent comme le champion de l’anticolonialisme. À Diego-Suarez, « il ose soutenir les petits paysans malgaches expropriés par les colons ». Son premier journal, « L’Opinion », peut paraitre en 1927 grâce à la collaboration d’un petit colon du Sambirano, Paul Dussac, qui en assure la direction. Et déjà, beaucoup d’amis se groupent autour de Ralaimongo dont l’ascendant est considérable. Secondé par le Dr Joseph Ravoa­hangy, il mène sans défaillance une « campagne de presse très digne », en faveur de l’égalité et de la justice. « La presse coloniale se déchaine, mais les procès, les obstacles augmentent la popularité des journalistes malgaches. » À Antananarivo, Paul Dussac, aidé de Jules Ranaivo, parvient à fonder en 1928, un nouveau journal, en français comme «L’Opinion », « L’Aurore malgache » qui fait entendre dans la capitale la voix des militants malgaches. Le mécontentement se propage vite dans Antananarivo, les esprits s’échauffent. Alertant ses amis en Frances, dès la création du « Service de la main-d'œuvre des travaux publics d'intérêt général » ou Smotig, Jean Ralaimongo parvient à saisir le Bureau international du travail (BIT) de cette affaire. Le gouverneur général Marcel Olivier s’émeut quand le journal de Paul Dussac entreprend, au début de mai 1929, une campagne de pétition en faveur de l’assimilation. Depuis la création de la Colonie, le recrutement de la main-d’œuvre est l’un des problèmes essentiels pour les colons. Les prestations exigées, directement ou par l’intermédiaire des Fokonolona, sont « la marque la plus concrète de sujétion ». Sollicité par les employeurs, le gouverneur général rétablit les Offices de la main-d’œuvre : les salariés, contrôlés par l’administration, ne peuvent rompre brusquement ou sans raison, le contrat qui les lie au colon. La politique des grands travaux exigeant une main-d’œuvre nombreuse et assidue, Marcel Olivier suggère au gouvernement français un nouveau système de recrutement, le Smotig. « Créé en 1926, le Smotig mobilise chaque année de 4 000 à 5 000 travailleurs qui vivent comme de véritables soldats. » Le service dure trois années à partir de 1929 et l’effectif dépasse 12 000 hommes dans la pleine force de leur jeunesse, groupés avec leurs familles dans des « camps de pionniers ». Bien accueilli par les colons, le Smotig provoque l’indignation des Malgaches. L’émotion dépasse les limites de la Colonie et l’affaire est évoquée par les instances internationales de Genève où le BIT condamne ce système de main-d’œuvre. Parallèlement, le lundi 19 mai 1919, les autorités interdisent aux non-citoyens l’entrée du cinéma l’Excelsior où doit se tenir la conférence de Jules Ranaivo, soutenu par Paul Dussac et leurs amis. « Il est 9 heures du matin. Une manifestation s’organise, près de 3 000 Malgaches et sympathisants se répandent dans les rues principales. On crie Liberté ! Tous citoyens, on chante La Marseillaise et l’Internationale devant la résidence de France et Marcel Olivier est conspué. » Les autorités ne répondent pas à l’appel des manifestants. Aucune mesure n’est prise en faveur de l’assimilation. Dans les jours qui suivent, Paul Dussac, Abraham Razafy, Planque et Vittori sont arrêtés. Comme le gouverneur général a quitté la Grande ile, son successeur place en résidence fixe les chefs du mouvement, Jean Ralaimongo, Joseph Ravoahangy, Joseph Raseta et leurs amis. Les militants malgaches ne se découragent pas pour autant. Ceux qui savent lire et écrire connaissent désormais le mouvement qui a sensibilisé les populations citadines dans toute la Colonie. Malgré l’ascendant de Jean Ralaimongo, une évolution se produit du fait de la déception causée par l’attitude des autorités locales. Le patriotisme malgache s’exprime dans le nouveau journal des militants, « La Patrie Malgache » qui remplace L’Aurore. « L’impulsion de la génération VVS conduit insensiblement les partisans de l’assimilation vers un nationalisme plus accessible à la masse populaire. On parle dorénavant des aspirations du peuple à Madagascar. »
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