Commencer par un rêve


Librement, je situe le début de l’histoire une nuit de l’année 1817. À ce moment-là, le mécanisme de la roue du destin de notre pays a été actionné à Neuaddlwyd, une ville du Pays de Galles. C’est cette nuit-là qu’eut lieu l’aventure nocturne, onirique du Dr. Thomas Phillips, un célèbre prédicateur de son état. Influencé par les différentes lectures sur Madagascar, son rêve le transporta sur l’Océan Indien. Sur la côte, il vit un Malgache lancer un appel au secours. Secoué par cette vision, le Dr Philips, un grand ami de la mission protestante, fit un appel à volontaires dans l’école où il enseignait. Deux élèves répondirent favorablement à l’invocation : David Jones et Thomas Bevan. Le 18 août 1818, envoyés par la London Missionary Society (LMS), ces deux hommes débarquèrent à Toamasina, poussés par une foi ardente qui libère de la crainte de mourir en martyr des mains de Bemangovitra (le paludisme), le plus grand général de notre histoire, un brin xénophobe. Il enlèvera à David Jones sa femme et son fils ainsi que son ami Bevan et toute la famille de ce dernier. La grande affluence, dont la ville du débarquement a été le théâtre la semaine dernière, témoigne encore du succès de cette immense piété qui déteignit sur les premiers protestants malgaches, un succès qui a fécondé des martyrs tels que Rasalama, Rafaralahy Andriamazoto, les lapidés de Fiadanana, les précipités d’Ampamarinana,… La FJKM, enfant de trois missions européennes (LMS, FFMA et MPF), a célébré, dans une grande ferveur, cette date, reconnue comme étant l’anniversaire de la pénétration de l’Évangile sur notre île. Mais si l’accent a été surtout mis sur l’héritage religieux, n’oublions pas que l’influence ne s’est pas limitée à cette sphère. À part les graines du protestantisme qu’ils ont semées, d’autres legs, méconnus, font encore partie de notre quotidien. Vous connaissez tous le modèle de maison qui a fini par obtenir le nom de « trano gasy ». Ce modèle architectural n’est pas l’œuvre du génie ancestral mais a été transmis par le missionnaire James Cameron, pas le cinéaste mais le Gallois qui nous a également appris la fabrication de savon quand, sous la menace d’une expulsion, il a été obligé d’improviser pour dissuader Ranavalona Ière en produisant du savon. Mais ce qui a vraiment marqué l’époque de leur présence sur notre sol, ce fut la progression vertigineuse du taux d’instruction. Le 8 septembre 1818, Jones et Bevan donnèrent leur premier cours sur une plage, le sable faisant office de tableau et de cahier pour les six pionniers, les premiers élèves qui précèdèrent les millions d’autres qui s’assoiront sur un banc d’école. Ce qui force l’admiration, ce fut l’efficacité du « Monitorial system », la méthode pédagogique de Lancaster. Mais cela appartient à une époque révolue. Com­ment donc, avec le nombre négligeable de moyens humains et matériels, parvinrent-ils à obtenir des résultats qu’on ne parvient même pas à frôler avec les progrès technologiques actuels et le nombre considérable de maîtres fram qui sont « au service » de l’éducation nationale ? Tout a commencé par un rêve. Bien que continuel­lement bercés par des rêves de divers genres, on n’arrive pas à faire changer le cap de l’histoire. L’actua­lité est monopolisée par ces rêveurs qui contaminent le peuple qui boit avec délice les différents récits, les belles histoires à dormir debout éparpillées par des fabulateurs assoiffés de pouvoir. D’autres éprouvent ce que Woody Allen, dans le film Minuit à Paris (2011), appelle le « syndrome de l’âge d’or » : pourquoi on n’a pas vécu à la meilleure époque ? C’est celui de la rengaine « c’était mieux avant ». La nostalgie, l’utopisme à l’envers, n’est-ce pas ce que nous inspire la commémoration du débarquement des missionnaires gallois ? L’état gémissant de l’éducation ne légitime-t-il pas ce genre de rêve ? Espérons qu’il inspirera un jour, comme il y a 200 ans il a inspiré un Gallois, un sauveur qui fera l’histoire. par Fenitra Ratefiarivony
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