Indépendances africaines - 1960, la fin d’une ère


« Pour que la mer ne soit plus la limite de notre rizière » En ces années 50 finissantes, toute l’Afrique vit dans la fièvre et l’exaltation de l’année 1960 qui approche à grands pas. Hommes politiques, intellectuels, syndicalistes, simples paysans conjuguent leur destin au futur proche. Année magique, année des « chiffres des choses » comme disait Léopold Senghor dans ce langage qu’il n’était pas donné au commun des mortels de… déchiffrer. 1 960 ne sera pas seulement un tournant dans le cours du XXe siècle, mais aussi et surtout la fin de toute une ère. Le ton a préalablement été donné par Richard Nixon, alors vice-président des États-Unis, rentrant d’un périple africain : « L’Afrique est la partie du monde qui, actuellement, se transforme le plus vite. Son évolution pourrait bien constituer le facteur décisif dans le conflit entre les forces de la liberté et le communisme international. » Peut-être ne pouvait-il pas savoir que la jeune intelligentsia africaine, à l’image d’un Richard Andriamanjato, ne jurait alors que par les discours enflammés de Lénine. Toujours est-il qu’aux Nations Unies, l’arrivée des nouveaux États indépendants d’Afrique changera toutes les donnes avec la fin du tiers bloquant qui avait notamment permis à la France de s’en tirer à bon compte sur la question algérienne. Un basculement du rapport d’influences sera perceptible dès la session de septembre 1960. Le point culminant du mouvement d’émancipation est atteint en cette année 1960 pas comme les autres. Des territoires peuplés de plus du quart de la population totale du Continent sont d’ores et déjà assurés de devenir indépendants cette année. Le Cameroun enclenche l’irréversible mouvement dès le 1er janvier, suivi par des pays comme le Togo, le Nigeria britannique, ou la Somalie italienne. Modibo Keita, à la tête de la Fédération du Mali regroupant le Sénégal et le Soudan français, pouvait annoncer à Dakar : « En cette année 1960, le Mali sera au rendez-vous des États indépendants ». Vrai, mais pas tout à fait sous la même forme, puisque l’éphémère Fédération ne résistera pas au nationalisme de ses composantes. En tout cas, le principe de l’indépendance de la Fédération était acquis depuis la dernière réunion du Conseil exécutif de la Communauté française à Saint-Louis du Sénégal, suivie de négociations à Paris pour traduire dans les faits les promesses du général De Gaulle. Madagascar, par la voix de son président Philibert Tsiranana, s’apprête à suivre la même voie. À Léopoldville, future Kinshasa, le roi des Belges Beaudouin venu aplanir certaines tensions est accueilli aux cris de « Indépendance ! » L’importance de la mutation en cours en cette année 1960, acquiert tout son sens quand on pense que, quinze ans après la fin de la deuxième Guerre mondiale, beaucoup de pays africains sont encore des colonies ou des protectorats sous l’œil vigilant de l’armée du colonisateur, à l’exception du petit Liberia et de ce qui était alors l’Union Sud-Africaine. Tout naturellement, beaucoup de ceux qui avaient conduit leurs peuples à l’émancipation se mettent à revendiquer un leadership africain. C’est le cas de Gamal Abdel Nasser qui n’a jamais caché son ambition d’utiliser l’Islam pour le rayonnement de l’Égypte sur tout le Continent. On pourrait aussi citer le tunisien Habib Bourguiba qui rêvait d’être le Guide de la décolonisation, enfin et surtout Kwame NKrumah du Ghana et Ahmed Sékou Touré de la Guinée. Le Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, fait alors figure de géant tranquille… Des problèmes plus profonds Derrière les rivalités, l’Afrique est condamnée à se recomposer pour surmonter les frontières laissées par la colonisation, et éviter ce que Senghor appelait les « États nains ». Car jusqu’ici, la conquête des indépendances avait occulté ou masqué les problèmes les plus profonds et les plus urgents du Continent. Il faut maintenant construire, mais sur quel modèle, celui du néocapitalisme, du socialisme africain, ou du marxisme ? Toutes les voies sont ouvertes, et chacun cherchera midi devant sa porte. Sur le calendrier, un chapelet de dates marque l’année 1960 en Afrique francophone et, par ricochet, l’année 2020 qui est celle des soixante ans des indépendances : 1er janvier (Cameroun), 27 avril (Togo), 20 juin (Mali), 26 juin (Madagascar), 1er août ( Dahomey devenu le Bénin), 3 août ( Niger), 5 août (Haute Volta devenu le Burkina Faso), 7 août (Côte d’Ivoire), 11 août (Tchad), 13 août (Oubangui Chari devenu la République Centrafricaine), 15 août (Congo), 17 août (Gabon), 20 août (Sénégal), 28 novembre (Mauritanie). Malheureusement pour tous ces pays, l’homme propose et le Covid 19 dispose. Les lampions ne peuvent être au rendez-vous cette année, et les soixante ans d’indépendance risquent de faire l’objet du plus terne anniversaire qu’on ait connu depuis… 1960. [caption id="attachment_108695" align="aligncenter" width="806"] Le premier président du Ghana, Kwame Nkrumah (à g.) s’entretient avec l’Empereur Hailé Sélassié durant la Conférence des Pays Non-alignés, à Belgrade, en septembre 1960.[/caption]
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