Un musée pour Léonard


Léonard de Vinci est mort il y a 500 ans. Ses oeuvres se trouvent aujourd’hui dispersées entre quatre pays : l’Italie de sa naissance, la France de son décès, mais aussi l’Espagne et l’Angleterre. En cette journée internationale des musées, ces quatre pays, aux innombrables musées qui ne sont pas seulement ouverts dans leur capitale respective, avaient de quoi intéresser les visiteurs à la vie et l’oeuvre d’un des plus grands génies de l’espèce humaine. À la périphérie du Village planétaire, nous ne serions pas concernés par Léonard de Vinci. Cependant, il aurait pu être le Jean Laborde doublé d’un James Cameron de Madagascar, avec ses palans, ses grues, ses engins de levage, pour bâtir les palais d’hier qui seraient les musées d’aujourd’hui ; ses machines de trait, de mouvement, d’envol, pour conjurer cette étrangeté d’une civilisation qui n’a pas inventé la roue alors qu’elle faisait rouler, chaque matin et tous les soirs, le disque de pierre de son «vavahady». Du Léonard de Vinci (1452-1519) ludique, j’hésite entre cette vieille publicité de Price Waterhouse (qui n’était pas encore Coopers) parue dans le Times de Londres, le 7 février 1998 : «You wouldn’t be the first person with an arts background to do something technical». Sur un quart de page d’un Broadsheet Paper, le texte était surmonté par la seule image qu’on ait de Léonard et qui est d’ailleurs son auto-portrait en vieux sage aux cheveux longs et barbe abondante. Ou ses fulgurances croquées dans les albums de bandes dessinées : «Léonard est un génie», aux inventions abracadabrantes dont fait souvent les frais son assistant «Disciple». Ou ce livre, sur les «Dessins anatomiques : anatomie artistique descriptive et fonctionnelle» de Léonard de Vinci, qui trônait en bonne place dans la bibliothèque de mes parents. Mais, ce n’était donc pas dans ce livre que j’ai vu l’hélicoptère pressenti par Léonard : la «vis aérienne», un aéronef à vol vertical, concept imaginé en 1487, quelque 420 ans avant le premier vol officiel d’un début d’hélicoptère. Léonard de Vinci, ce sont ses trois oeuvres que le monde entier désormais connait : «La Cène», «Mona Lisa» dite «La Joconde», et le dessin sur les «Proportions du corps humain». L’Europe entière, elle, connaissait Léonard de son vivant. Pourtant, il n’était ni l’Empereur du Saint Empire romain germanique, ni le Pape très catholique, ni Luther, ni Calvin. Simplement homme à part de cette «Renaissance», époque européenne de questionnements, de remise en cause, et de chamboulements, dans les domaines du savoir, de la religion et de la politique. Léonard, génie polytechnicien qui a touché à tout : peinture, sculpture, musique, théâtre, biologie, grammaire latine, urbanisme, géologie, ingéniérie militaire, anatomie, mathématiques, architecture, optique, fonderie, hydraulique, poésie, mécanique. Et même l’aéronautique qui, bien évidemment, n’existait pas à son époque. Archétype du philosophe-ingénieur, scientifique total et savant universel, il a annoncé de nombreuses découvertes modernes. Des ingénieurs du 20ème siècle, auxquels on avait confié des dessins de Léonard, ont réussi à fabriquer des maquettes capables de fonctionner uniquement à partir des schémas dressés par le Maître, quatre siècles auparavant. Malheureusement, l’âge moderne, le nôtre, serait né de l’échec à associer l’art et la science qui ont été dissociés en savoirs autonomes. Ou de la spécialisation comme réduction, restriction, soustraction. De nombreux documents de la main de Léonard ont disparu. Les spécialistes continuent de collecter ses innombrables notes, dessins et manuscrits que, gaucher, il avait rédigés en écriture spéculaire : une écriture à l’envers que redresse le miroir. Un peu comme si, vous voyez dans votre rétroviseur «Ambulance» apparaître à l’endroit alors que le mot est inscrit à l’envers sur le véhicule qui vous talonne. Il est singulier, et en même temps révélateur, que cinq siècles après sa mort, aucun expert moderne n’ait pu encore embrasser l’ensemble de la moitié du savoir encyclopédique de Léonard : «Jeune homme, je vous souhaite de réussir la moitié de ce que j’ai réalisé, quand vous aurez mon âge»...
Plus récente Plus ancienne