Le réalisme magique d’un scénario catastrophe


Idéologiquement assumé plus qu’économique­ment réfléchi, le stade suprême des nationalisations fut la faillite des sociétés d’État. Vingt ans après 1972-1977, sous le nouveau mot d’ordre d’ajustement stru­cturel, banques, secteur pétrolier et télécom­munications furent dénationalisées. Vingt autres années encore, voilà le Fanjakana qui frôle dangereusement le stade suprême de l’État-failli. Ambulances d’hôpital public dons de telle Fondation, voitures des forces de l’ordre dons de telle Fondation, la cantine (et donc le régime alimentaire) des Écoles primaires publiques assurées par telle Fondation. À un titre ou à un moindre, voilà Santé publique, Sécurité publique et Instruction publique, partiellement assurées par telle ou telle Fondation. Les stocks stratégiques de riz et autres produits de première nécessité ou de médicaments abandonnés au bon renom de telle Fondation ? La réserve stratégique de pétrole ou de gaz au bon vouloir (en attendant de bonne volonté) d’une autre Fondation tout aussi honorable ? Questions existentielles au stade suprême de l’externalisation. La sanctuarisation des forêts confiée à tel richissime philanthrope : les lémuriens endémiques seraient les habitants d’un zoo privatif. Les gardes-côtes pris en charge par tel magnat : flux humains et tonnages halieutiques seraient à la discrétion d’intérêts sans once de patriotisme, encore moins de nationalisme. L’espace aérien à la merci de tel nabab : le coup de grâce pour une île déjà privée de marine marchande et guère plus qu’un avion solitaire en guise de compagnie aérienne. Les arrivées en dépit NOTAM et les évasions malgré IST dénoncent la porosité de nos frontières. L’or disparu ailleurs et la drogue déversée ici questionnent la raison d’être de nos douanes. L’incertitude des titres fonciers suggère un braquage des «Domaines», pourtant organiquement liés à la sacro-sainte «Terre des ancêtres», le Tanindrazana dorénavant réputé aux mains de L’Étranger. Le stade suprême de la susceptibilité nationaliste. Si une Fondation, privée et étrangère pour faire bonne mesure, obtenait la réhabilitation et l’entretien des milliers de kilomètres de routes nationales abandonnées par l’État, faute de crédits et de cantonniers, elle pourrait, pourquoi pas tant qu’à faire, décider des nouveaux tracés routiers et dessiner l’aménagement du territoire à l’insu et aux dépens du Fanjakana. D’autres intérêts sans frontières et apatrides pourraient cocher, au hasard, la politique démographique et la natalité, ou la nationalité. Parlementaires au plus offrant : on l’a vu. Justice à l’encan : on le craint. Plus personne à qui se fier si même les forces de l’ordre se louent. L’armée, symbole ultime (à défaut d’être véritable rempart) de la souveraineté nationale, avec autrefois à sa tête un général providentiel, dernièrement aux ordres de colonels putschistes, entretemps multitude informe de «réservistes». On se retrouve nulle part quand on est partout sans repère. Heureusement, reste le drapeau en dernier signe de recon­naissance : à bande verticale blanche et deux bandes horizontales rouge et verte. Sauf que ce même drapeau, après lavage de cerveau par une secte évangélique ou injonction par une secte coranique, peut être renié. N’ayant pu constituer une masse critique de citoyens raisonnablement sceptiques, le pays se retrouve avec un troupeau de croyants d’autant plus fanatiques qu’ils sont miséreux. Le stade suprême de quelque chose d’infiniment mortifère.
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