Monde - Ces Israéliens qui quittent leur pays


Israël a toujours été le pays du Grand Retour, depuis les temps bibliques jusqu’à l’odyssée des Falashas revenus d’Ethiopie, en passant par les circonstances de la création de l’État hébreu. Le mouvement inverse est aujourd’hui perceptible qui, s’il ne concerne pas les masses, n’en est pas moins une perte pour le pays. Le point commun de tous ces partants pour qui le voyage est définitivement à sens unique ? La déception, pour ne pas dire le désespoir devant l’évolution d’Israël, dans laquelle ils estiment ne plus avoir leur place. Ce choix d’un exil sans retour est avant tout celui d’intellectuels de gauche. Ils sont universitaires, artistes, cadres d’organisations non gouvernementales, et ont milité pour une paix qui ne figure manifestement pas parmi les options de tous les gouvernements qui se sont succédés. C’est le cas d’E. Bronstein, 60 ans, et de sa compagne. Lui a fondé l’organisation « Se souvenir » et elle est anthropologue. Ensemble ils ont écrit un livre sur la Nakhab ou « la catastrophe », nom donné par les Palestiniens aux conditions ayant entouré la fondation de l’État d’Israël. Bronstein a émigré en Israël avec ses parents quand il n’avait que cinq ans, et a grandi dans un kibboutz. Se définissant comme un Israélien ordinaire, il explique son départ : « Il fallait que je sauve mon fils du système éducatif nationaliste, militariste israélien. Je suis heureux de l’avoir tiré de là ». Et de poursuivre : « Les gens qui ont un profil politique comme le mien ont le sentiment de ne plus pouvoir exercer d’influence en Israël. Nous ne voyons vraiment pas de véritable paix à l’horizon ». Nombre de ceux qu’on appelle la gauche radicale ont quitté le pays au cours des dix dernières décennies. Certains ont perdu leur poste à cause de leurs opinions et activités politiques. Ils avaient l’impression de ne plus pouvoir s’exprimer sans crainte. Certains d’entre eux refusent d’être interviewés, refusant que leur décision de s’exiler, avant tout personnelle, soit un exemple pour d’autres. Parmi les noms célèbres de ces exilés, figurent ceux d’Ariella Azoulay et son compagnon, fondateurs de 21st Year, une organisation militant contre l’occupation des territoires palestiniens, Anat Biletz, ancien président du Centre israélien d’information des droits de l’homme, Dana Golan, ancienne directrice de Briser le silence, ou encore Ilan Pappé, qui a été une fois candidat du parti arabo-juif et a fait parti des « nouveaux historiens » qui remettent en cause l’histoire officielle de la naissance d’Israël. Yonathan Shapir, pilote de l’armée de l’air, a été à l’origine d’une lettre des pilotes refusant de participer au bombardement des territoires occupés en 2003. Andalu Publishing, une maison d’édition publiant de la littérature arabe traduite en hébreu, a aujourd’hui fermé ses portes. Un mot qui revient comme un leitmotiv aux lèvres des exilés volontaires, qu’ils soient intellectuels, politiciens, ou militaires, est celui de « désespoir ». La parole à Bronstein Aparicio : « Je me rappelle parfaitement la période des Accords d’Oslo signés en 1993 entre Israéliens et Palestiniens. Je partageais l’euphorie qui régnait alors. On avait l’impression que le conflit serait résolu, et qu’il y aurait peut-être la paix. Mais ça n’a pas duré longtemps ». Depuis, le désespoir n’a cessé de grandir. Une figure emblématique de cette contestation par le départ volontaire et sans retour est celle du politologue Neve Gordon qui a commencé son engagement politique à l’âge de 15 ans et en a aujourd’hui 54. Il a été le premier directeur de Médecins pour les droits de l’homme-Israël, et milité ensuite au sein de l’organisation non violente arabo-juive Ta’ayush ou « Cohabitation ». Il est surtout connu du grand public israélien pour un article paru dans le Los Angeles Times, dans lequel il qualifiait Israël d’État d’apartheid. Les exilés volontaires sont surnommés avec mépris les yordim ou « ceux qui descendent » en Israël, par opposition aux olim ou « ceux qui montent », un terme élogieux dont on gratifie au contraire les nouveaux arrivants. Le Times of Israël voient en eux des déserteurs qui ont quitté le navire et trahi leur héritage pour une vie plus douce à l’étranger. L’ancien Premier ministre Ytzhak Rabbin les qualifiait même de « froussards méprisables ». Mais eux vivent leur nouvelle vie avec une conscience libérée même si, pour les plus âgés, « c’est terrifiant d’émigrer à un âge tardif et de devoir se réinventer », et d’ajouter : « nous n’avons pas quitté Israël à cause du prix du fromage blanc ». Hagar Kotef a réussi à trouver un poste de professeur associé en sciences politiques à l’Ecole des études orientales et africaines de l’université de Londres. Mais elle avoue ne plus avoir le cœur à militer pour une cause, et son compagnon est pour quelque chose dans cette décision : « On a déjà eu des problèmes dans un pays à cause de toi, on ne va pas se faire chasser d’un autre ! » Yael Lerer qui a atterri à Paris est pour sa part satisfait de son nouvel environnement social : « Mes amis français déplorent le racisme qui règne dans ce pays, mais ce n’est rien comparé à Israël ».
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