La paix avec le passé


Invité sur une chaîne de télévision algérienne la semaine dernière, Emmanuel Macron, candidat à la présidentielle française, a utilisé l’expression « crime contre l’humanité », pour qualifier la colonisation et sème ainsi le tollé dans l’opinion publique française. François Fillon, lui, dans un discours d’août 2016, disait que «la France n'est pas coupable d'avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d'Afrique, d'Asie et d'Amérique du Nord». Les deux points de vue représentent bien les extrêmes sur le rôle de la colonisation, bien que depuis sa déclaration, Emmanuel Macron ait mis un peu d’eau dans son vin pour maîtriser la polémique. La qualification de « crime contre l’humanité » dans le contexte de la colonisation embarrasse toujours les anciennes métropoles. La première définition juridique remonte à 1945 avec la Charte de Nuremberg qui établit le Tribunal militaire international pour juger les nazis. Cette définition concernait « l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain inspiré par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux et organisés en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile ». Évidemment, la défense du « rôle positif de colonisation » tendra toujours à affirmer que la colonisation, elle, n’a pas le but de décimer une population mais d’occuper un pays étranger à des fins de valorisation voire de « mission civilisatrice » - ou de généreux partage culturel, si on s’en tient aux propos de François Fillon. Elle dira aussi qu’elle avait des bienfaits (des écoles, des hôpitaux, des routes, des chemins de fer etc…) – mais ces modernisations auraient bien pu se faire sans invasion, n’est-ce pas  Cette même défense qui dirait aussi que la prédation et la violence n’étaient pas forcément et pas toujours des constants de la colonisation. Et qu’appliquer aux exactions commises pendant cette période, le terme de crime contre l’humanité, c’est réduire la colonisation en une vision manichéenne et simpliste. Sans doute parce qu’on se dit aussi, à tort ou à raison, que les crimes perpétrés pendant la colonisation ne sont pas comparables à ceux, commis par les nazis pendant la seconde guerre. Cependant, le passé colonial de Madagascar et la représentation que se fait la France de son rôle colonisateur resteront toujours un sujet épineux. Évidemment que du côté malgache, comme c’est sans doute le cas d’anciennes colonies, cette période a été faite d’injustices, de prédations, de vols, d’exploitations et de crimes. Évidemment que les blessures restent ouvertes, dès lors que la reconnaissance des faits reste ambiguë et que les faits, eux-mêmes, sont amoindris. Car les faits sont les faits. 90 000 morts en 1947, alors même que la France sortait d’une seconde guerre mondiale où elle a vécu la pénible réalité de la domination allemande et agissait pourtant sur les Malgaches avec une violence inouïe, en pleine conscience de la douleur que ses actions engendreraient pour l’avoir elle-même vécue dans son passé récent. Sans compter les divers abus, la dictature quotidienne,  la douleur de tout un pays, perdant sa liberté, son âme et son libre-arbitre, certes avec l’aide de quelques traîtres. Le temps ne guérit pas les blessures, c’est la reconnaissance de la faute commise qui le fait : une reconnaissance, sans aucune tentative de réécrire l’histoire, d’arrondir les angles, d’effectuer des coupes et des embardées ou même de se justifier. Car si la colonisation avait un dessein aussi altruiste, comment expliquer que des décennies après le retour de l’Indépendance, les colères restent toujours aussi vives et qu’aborder le sujet reste constamment un terrain miné   Oui, la colonisa­tion a été une souffrance. L’idée  n’est pas de faire la leçon à une nation qui s’est construite sur des valeurs de droits et de république. Mais simplement, de rappeler que si nous, Malgaches, pouvons accepter que ce passé fut et que nous ne pourrons pas le réécrire, il nous est tout aussi important que cette reconnaissance se fasse du côté de la France. Vivre et travailler ensemble, c’est aussi accepter mutuellement de cicatriser les plaies et faire la paix avec le passé commun, sans constamment vouloir se disculper ou surenchérir. Avec la confession vient le pardon. Par Mialisoa Randriamampianina
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