Géopolitique - La Conférence des vainqueurs de l’Allemagne


« Trois, ils étaient bien trois, n’en déplaise aux francophiles, car De Gaulle n’avait pas l’honneur de faire partie de ces « happy few ». Les autres ne semblaient d’ailleurs pas le tenir en haute estime. » C’est sur la Conférence de Yalta que Tom Andriamanoro ouvre sa chronique hebdomadaire. Dans la série Histoire des iles, il choisit l’archipel des Fidji dans le Pacifique-Sud. Concernant Madagascar, il consacre un texte sur Fonohasina, le village de la soie à Ambositra. «NOUS pourrions chercher pendant dix ans pour trouver un endroit aussi détestable. Yalta n’est un paradis que pour les poux». C’est ce que le Premier ministre Winston Churchill câblait au président américain Théodore Roosevelt en apprenant que la Conférence des trois vainqueurs de l’Allemagne aura lieu dans cette ville de Crimée. Et de proposer d’autres endroits plus appropriés comme Edimbourg, Malte, Athènes, Chypre, Le Caire, Rome ou Jérusalem… Peine perdue, Staline était intraitable : « Vous viendrez chez moi ou la Conférence n’aura pas lieu. » Trois, ils étaient bien trois, n’en déplaise aux francophiles, car De Gaulle n’avait pas l’honneur de faire partie de ces « happy few ». Les autres ne semblaient d’ailleurs pas le tenir en haute estime. Staline tournait en dérision ses prétentions : « Je ne pense pas que De Gaulle soit un personnage très compliqué. Mais il manque tout à fait de réalisme dans son appréciation du rôle que la France aura joué dans la victoire ». Et Roosevelt de renchérir : «  À Casablanca, il s’était comparé à Jeanne d’Arc et à Clémenceau. À Moscou, il m’a déclaré que le Rhin était la frontière naturelle de la France, et que les troupes françaises devaient l’occuper en permanence… A ce propos, pensez-vous qu’il faille accorder aux Français une zone d’occupation en Allemagne ? Ce serait un pur cadeau de notre part. » Staline était totalement de cet avis : « Si vous voulez donner une zone à la France, serrez-vous car moi je ne donne rien.» Aussi incroyable que cela puisse paraitre, Roosevelt s’alignait sans limite derrière Staline au point de l’encenser : « Je suis sûr au moins d’une chose, Staline n’est pas un impérialiste », et de jeter la pierre sur Churchill, son allié naturel : « Winston, vous avez dans le sang quatre cents ans de conquête coloniale. » Ce que voulait secrètement l’Américain en se faisant aussi obséquieux, c’était d’obtenir l’entrée des Soviétiques dans la guerre du Pacifique contre le Japon. Tout se vend, tout s’achète, le monde est un marché… Dans sa mise à l’écart, c’est le statut de grande puissance de la France qui était en jeu. Personne n’en été convaincu, hormis peut-être les Anglais. Aux heures les plus noires de la guerre, Churchill avait promis qu’en cas de victoire, la Grande Bretagne restaurerait la France « in her dignity and greatness  ». Staline, décidément le plus grand des grands vainqueurs, ne fléchissait pas d’un pouce : « Les souffrances de la France ont été moindres que celles de la Belgique ou de la Hongrie. » Et d’ajouter pour enfoncer le clou : « Sa participation à la guerre avec huit divisions était inférieure à celle de la Yougoslavie qui en avait neuf, ou de la Pologne qui en avait onze. » Une stratégie de Staline en imposant Yalta était d’user physiquement ses deux interlocuteurs qui étaient déjà d’un certain âge. Roosevelt, par exemple, avait dû traverser tout l’Atlantique malade et reclus dans sa cabine. De Malte où il avait tenu une concertation préalable avec Churchill, les avions des deux délégations atterrissaient à Saki, à deux cents kilomètres de Yalta de l’autre côté d’une chaine de montagnes. La route, jonchée de chars démolis et de camions calcinés dans un paysage ravagé par la guerre aurait pu, par ses nids d’autruche et ses virages, suffire pour terrasser pour de bon le président américain, mais celui-ci parvint à Yalta dans un état cadavéreux certes, mais en vie. Pour avoir une idée de l’inconfort total de l’hébergement dévolu aux Américains et aux Britanniques, on peut mentionner le fait que ces derniers disposaient d’une salle de bain pour vingt généraux, et d’un lavabo par immeuble. Mais on doit aussi à l’honnêteté de reconnaitre que les Soviétiques avaient quand même fait l’impossible pour  viabiliser  les lieux : les jardins avaient été refaits avec notamment des cyprès et des orangers apportés de Géorgie. Quant au mobilier, la moindre table de nuit avait été expédiée de Moscou. À la guerre comme à la guerre… Dans la salle de réunion, les rangs américains avaient un côté tragique, avec un Roosevelt qui se mourrait. Son bras droit, Harry Hopkins, était lui aussi si mal en point qu’on le redressait uniquement pou lui permettre d’intervenir. Les rangs britanniques étaient, pour leur part, sobres et d’une rigidité toute militaire. Churchill, qui se relevait à peine d’une indisposition, était maussade et irritable. Du côté des Russes, les civils étaient majoritaires avec, autour de Staline, de grands noms comme ceux de Molotov ou de Gromyko. Staline était d’excellente humeur et il y avait de quoi : ses armées était devant Berlin, et les alliés s’inclinaient devant ses quatre volontés. Il était le plus grand… Jamais une conférence internationale ne s’était déroulée dans une pareille incohérence. Aucune question n’était préparée, aucun ordre du jour n’était respecté. Les réunions étaient écourtées à cause de l’état de santé de Roosevelt. Ce dernier n’arrêtait pas de parler, et s’épuisait. Son regard douloureux circulait sans cesse dans la salle jusqu’à ce qu’il demande d’abréger des débats qu’il avait lui-même provoqués, et que sa tête retombe sur sa poitrine. On a dit de la Conférence de Yalta qu’elle avait livré à l’empire soviétique cent millions d’Européens. En réalité, quand la Conférence des trois Grands s’est tenue, la Roumanie, la Bulgarie, la Yougoslavie, la Hongrie, un morceau de la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Prusse, la Silésie, avaient déjà été conquis par les Russes. Yalta ne fut donc au mieux que la chambre d’enregistrement d’une situation de fait. Les Russes énonçaient également leurs conditions pour leur éventuelle entrée dans la Guerre du Pacifique : 120 000 tonnes d’essence à 100 degrés d’octane, du matériel roulant et volant en quantité plus que surévaluée, les îles Kouriles et PortArthur à titre de base militaire, la cogestion des chemins de fer Est-asiatiques et sud-mandchou. À prendre ou à laisser.
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